Dans le soufisme le Wird est la pratique par laquelle est différenciée une voie mystique d’une autre. Le Wird permet de transmettre le secret qui attachera le maître à son élève. Le wird est un ensemble d’incantations, de prières, et de respirations qui mène au « hal », à l’absolu. Le Hal est l’extinction de soi dans l’autre.
L’expérience soufie dépasse les clivages que la société met en place, les problématiques identitaires s’annulent. Là où la pratique du soufisme est permise, la société est rarement à l’écoute des intégrismes. Cette recherche est aussi ce qui nous constitue. Elle est la part qui nous relie aussi bien à l’univers qu’à notre partie nucléique.
Ce qui sépare les hommes s’annule lorsqu’ils se retrouvent à expérimenter un état de grâce et de souffle, que ce soit à Montreuil, dans le sud algérien ou n’importe où ailleurs dans le monde. Il n’est plus question d’individu mais de présence.
Le paysage, la nature sont parties intégrantes dcette beauté. Ce sont des lieux de fixation et de révélation. Si par le passé, j’allais loin pour photographier ces soufis, ma rencontre avec des confréries du Sahel à Montreuil ou en île de France, a transformé mon approche du sujet. C’est dans ces lieux ordinaires, intimes et clos, presque souterrains que j’ai trouvé mon écriture photographique. C’est à Montreuil que le schéma de la représentation commençait à se dessiner. Dans ces lieux impersonnels et insignifiants, j’ai compris qu’il n’est pas nécessaire d’aller loin pour rencontrer ce qui est proche. Pendant 20 ans, j’ai continué à les fréquenter et à fixer leur présence.
L’origine du projet est la rencontre avec une famille qui m’avait logé lors d’une panne de voiture sur les Hauts-Plateaux en Algérie. Une rencontre décisive. Lors de nos conversations, je fus frappé par leur disponibilité, et la chaleur bienveillante qui s’en dégageait. Ils ne sont ni inquisiteur sur ma pratique religieuse, ni outré d’apprendre mon athéisme. A la fin du séjour, ils m’ont appris qu’ils sont soufis.
La suite est une succession de rencontres, en France, ou durant mes voyages.
Si au départ j’avais une approche documentaire du sujet, je me suis rendu-compte rapidement de la limite de la démarche. La réflexion sur sa représentation m’a pris beaucoup de temps. Le soufisme pour le résumer est la représentation de l’égo dans une position verticale, ascensionnelle, et l’aboutissement, l’extinction de cet égo dans l’autre. L’autre en l’occurrence est « Dieu »
On est dans la métaphysique. Mettre l’homme dans cet éther qui nous enveloppe.
S’en était suivi une période de doute, et j’avais décidé une « halte » dans le travail pour me consacrer à autre chose.
Cette « halte » que les soufis nomment « une station » est celle qui permet une remise en question et une introspection du travail
J’ai changé de format dans mon matériel. Les films analogiques ne m’ont jamais quitté. Le 24X36 est remplacé par le 6X7, le 6X6, et depuis quelques temps par le 4X5 inch. Le format est une partie intégrante du processus de maturation. La photographie devient d’abord une construction mentale. L’appareil n’est que l’outil qui me permet d’arriver à ce que je perçois comme une finalité. Cheminer dans la lenteur comme on cheminerait dans l’esprit. La rapidité d’exécution (bouillonnement) des premiers temps, est remplacée par les résonances que les scènes vécues ou ressenties font naître en moi. Décanter ces scènes comme on le ferait d’un vin, pour ne garder que le nectar. C’est à ce moment précis, que j’ai rencontré enfin la grammaire et le vocabulaire qui accompagneront ce travail. Donner naissance à mon langage, non pas qu’il soit le meilleur, mais l’approprié.
Le NB m’a accompagné par moment. La couleur s’était imposée par sa signification sur certaines scènes. Savoir lire une couleur, provoquer certaines dominantes, pour entrer en résonance avec mes sentiments. Dans le soufisme, on parle d’énergie, d’aura, de couleurs constituantes. Elles sont ce qui est inaudible et pourtant bruyante, ce qui matérialise l’invisible. Les dominantes représentent ce paroxysme.
La réaction des personnes photographiées est bienveillante. Les prises de vues des Dhikrs, comme des khalwas, ne sont pas autorisées. Il fallait des années de fréquentation pour mériter le cercle et leur confiance. La confiance est donnée à un moment, elle n’entre dans aucune logique, ni aucune priorité. Une khalwa pour celles que je connais, se passe dans des lieux clos, obscurs. Une ouverture à peine perceptible laisse passer un rayon de lumière ténue, qui marque le temps. Un balancier entre ce temps et cet espace. Dans le fond de la salle, dans un silence total se tient le préposé à la retraite. A travers ce silence que représente la khalwa, l’image doit faire corps avec cette obscurité et en faire une alliée.
Information concernant le livre
http://lallahadriaeditions.com/portfolio/wird/
Exposition
– à partir du 18 février au 32 bis. Centre d’art contemporain à Tunis
– Avril 2022 Galerie Mamia Brétesche Marseille