En 1978, Jeanloup Sieff est à l’apogée de sa renommée surtout auprès des amateurs qui ne jurent que par ses noirs et blancs profonds, incisifs et contrastés, ses nus élancés à la Giacometti qu’ils tentent de copier en dévorant les magazines photos et en faisant poser leurs copines dans de vieux greniers éclairés par des vasistas.
Philippe Scali, alors éditeur chez Denoël, lui propose de réaliser en toute liberté un livre sur la Vallée de la Mort dans une nouvelle collection « Journal de Voyage ». Cette proposition tombe à point pour lui permettre d’accomplir son désir et de marquer une rupture dans sa vie trépidante. « Les plus beaux voyages sont ceux que l’on fait en rêve, écrivait Paul Morand, mais j’espérais malgré tout que certains rêves pouvaient coïncider avec la réalité et mon rêve à moi, c’était la Vallée de la Mort. Je ne connaissais d’elle que son nom dramatique et quelques images du vieux photographe américain Ansel Adams. Je la savais quelque part dans le désert entre la Sierra Nevada et Las Vegas ».
Fou de cinéma, il rêvait de devenir metteur en scène et avait même préparé le concours d’entrée à l’IDHEC. En même temps que le livre, il pense immédiatement réaliser un film pour l’INA à partir d’images fixes, dans la série de films d’auteur Camera Je. Sa femme Barbara, jeune mannequin rencontrée en 1969, sera du voyage et effectuera pour les besoins du film l’enregistrement des sons ainsi que de nombreuses images horizontales en couleurs qu’il délaisse habituellement, préférant les photographies verticales (ou carrées) mieux adaptées aux magazines.
Avant de partir, Jeanloup Sieff avait construit mentalement la structure de son livre comme un scénario déjà écrit et qui ne demandait qu’à être suivi à la lettre. À l’aspect autobiographique du journal de voyage écrit avec un réel talent littéraire nourri à la lecture des auteurs classiques, devait répondre un ensemble de photographies esthétiques et frontales fonctionnant d’une façon autonome, censé mettre la réalité à l’écart. Connu pour ses nus, ses obsessions fétichistes, ses images glamour, il chercha à effectuer une rupture, un sens de l’épure, une nouvelle forme d’ascétisme que permettait le thème du livre. Il annonça ainsi à son éditeur qu’il refusait de publier des nus mais consentit finalement à contrecœur que la photographie de Barbara montrant ses deux jolis seins figure dans l’ouvrage. Heureusement pour nous ! Jeanloup Sieff s’était fixé comme feuille de route de réaliser des images verticales alors que l’usage invite peintres, dessinateurs et photographes à aborder les -paysages en mode panoramique. On retrouve dans ses cadrages son esthétique particulière liée aux portraits et à la mode, une façon d’aborder le -paysage comme on photographierait un visage ou un modèle, d’élever le regard vers le ciel, de prendre toujours une certaine hauteur. Quelquefois, bien sûr, il rompt la monotonie en cadrant à l’horizontale des routes, des étendues perçues à travers le pare-brise de sa voiture ou de son camping-car mais toujours avec un souci formel pour jouer des lignes, des contrastes et donner du mouvement à ses images
De ce voyage à l’âge de 45 ans, à un instant de la vie où il est souvent question de faire le point, il en profita pour réaliser une véritable introspection au plus près de la nature. « J’ai toujours aimé les déserts, les vastes étendues où le vent est libre, les ciels immenses et où l’on peut suivre des yeux pendant longtemps la vie fragile d’un nuage.
« La Vallée de la Mort » enfin republié aux éditions Contrejour relate ce voyage entrepris avec sa femme Barbara en camping-car, dans une nouvelle version commentée et actualisée qui le restitue dans un contexte que le recul a rendu possible.
La Vallée de la mort
Jeanloup Sieff
Nouvelle édition chez Contrejour
Format 24 x30 cm, 112 pages, 28 euros.