Perdues de vue depuis 1939, les photographies de la guerre civile espagnole prises par Robert Capa ont été restituées à l’International Center of Photography en 2007. La mystérieuse « valise mexicaine » et ses négatifs, exposés au musée new-yorkais en septembre dernier, descendent à Arles.
Le monde de la photographie en a beaucoup parlé. Robert Capa développe en Espagne à partir de mai 1936 un nouveau genre de couverture photographique, au plus près des hommes et des batailles. Initiateur de toute une profession, il envoie certains clichés, dorénavant photo journalistiques, au magazines Vu et Regard qui les publient. Mais, il garde ses rouleaux entiers de négatifs dans une petite boîte. Les deux photographes qui l’accompagnent, Gerda Taro, sa compagne, et David Seymour, dit « Chim », en font de même.
Capa, alors partisan de la révolution, rentre ensuite à Paris où il habite et a rencontré ses amis. Au printemps 1939, apprenant l’entrée des Allemands sur le territoire français, il confie les négatifs à un son assistant Imre “Csiki” Weisz et file émigrer à New York. Depuis ce jour et sans la moindre trace des planches contact, un grand nombre de rumeurs ont circulé.
Fin 2007, trois cartons contenant les fameux négatifs arrivent enfin à l’International Center of Photography. En provenances de Mexico, ils sont restitués par Benjamin Tarver, un réalisateur mexicain, qui en 1995 les a hérités d’un ami de son oncle : le général Francisco Aguilar Gonzales, ambassadeur du Mexique sous le régime de Vichy qui les avait emmenés avec lui en Amérique Centrale. Jusqu’ici, Cornell Capa, le frère du grand photographe et fondateur du musée, a beaucoup fait pour les retrouver, envoyant même en 1975 un avis de recherche au monde de la photographie.
« La valise mexicaine », perdue pendant un demi siècle, rentre alors « à la maison » et les conservateurs de l’ICP découvrent un trésor historique de 126 rouleaux de film photographique et 4500 cadrages. Ce sont donc, en vérité, trois valises, qui dévoilent les images de la guerre d’Espagne prises, à part égale, par Capa mais aussi Taro et Chim. Ensemble, elles représentent un inestimable compte rendu des activités innovantes des trois photographes et des documents majeurs dans l’histoire des conflits du XXe siècle. « Le travail de Chim est, entre autre, une formidable découverte, commente Brian Wallis, l’actuel directeur de l’ICP. On connaissait les photos de Capa bien sûr, mais les siennes n’avaient pratiquement pas été vues.»
La plupart des photographies ont été prises entre mai 1936 et 1939, date de la fin de la révolution manquée. Celles de Robert Capa racontent entre autres la bataille de Teruel, celle de Rio Segre, la défense de Barcelone en janvier 1939 et l’exode de populations de Tarragone ou Barcelone jusqu’à la frontière française. Avant d’être accidentellement tuée par un char républicain le 25 juillet 1937 lors de la bataille de Brunete, Gerda Taro a elle réussi à documenter les camps d’entrainements de l’armée civile et photographier de façon vivante certains combats, jusqu’aux derniers qu’elle a pu observer. Quant à Chim, ses négatifs révèlent avec un certain esthétisme un important nombre de portraits, dont celui, célèbre, d’une infirmière portant sans ses bras un bébé à Estremadura. Sa valise renferme également un regard entre Taro et Capa attablé sur la terrasse d’un café parisien. « Des photos sans artifices », s’exclame Brian Wallis. Au milieu de toutes ces images longtemps convoitées figurent, pour l’instant de façon inexplicable, deux rouleaux de films qui n’ont pas de relation directe avec le travail réalisé en Espagne : une série de photos à Paris de Fred Stein datant de 1935 ainsi qu’une autre de Capa en Belgique.
Avant de pouvoir les exposer, il aura fallu deux années de travail à l’ICP pour restaurer correctement toutes les pièces. Les négatifs, « dans un état remarquable » selon Brian Wallis, ont été minutieusement scannés un par un sans être touchés à la main. Cette découverte à surtout permis aux conservateurs en photographie de s’informer sur les méthodes de travail de Capa, sa progression, sur l’identité de l’auteur de chaque photo et sur la relation Taro-Capa. « On connaissait les images imprimées mais en récupérant les négatifs, il est possible de voir des variations de chaque prise de vue ainsi que leur contexte », explique le directeur de l’ICP. Au regard de l’important matériel, ils espéraient trouver la série correspondant au controversé « falling soldier », cliché d’un combattant révolutionnaire tombé sous une balle et réalisé par Capa. « Trouver la photo précédente et la suivante nous aurait vraiment permis de dire si cette célèbre image est une mise en scène ou pas, dit Brian Wallis. Malheureusement, la photo n’a vraisemblablement pas été prise au même moment et au même endroit que celles retrouvées dans la valise mexicaine. Dans le futur, nous trouverons sûrement la vérité avec d’autres matériaux qui restent encore à découvrir. Elle demeure encore un mystère. »
Jonas Cuénin
Rencontres d’Arles 2011
Du 4 juillet au 18 septembre
La Valise Mexicaine
Musée Départemental Arles Antique
10:00 – 19:00