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La photographie, un instrument pour la société ?

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Une exposition au Centre Pompidou à Paris s’intéresse aux photographes engagés des années 30 : Eli Lotar, Pierre Jamet, Gisèle Freund…Comment la photographie est une « arme de classe » et comment elle a témoigné du visage d’une société contrariée, en pleine crise, avec tous les relents du fascisme.

Ils posent fièrement, en gonflant les torses et en se mettant savamment en scène pour défendre leur vision des choses. Les membres du « Groupe octobre », une troupe de théâtre ouvrier, arborent des exemplaires du numéro spécial de Communiste !, une revue éditée alors. Photographie d’un anonyme qui est exposée au début du parcours et qui dit bien l’effervescence qu’il y avait autour de la scène politique dans ces années-là, au milieu des années 1930. Très vite, nous sommes transportés dans cette époque où le péril est grand et où les mobilisations sont nombreuses.

Ainsi apparaissent des revues illustrées où s’adonnent des photographes concernés par les bouleversements sociaux qui touchent alors l’Europe. Regards, par exemple, une revue qui célèbre les ouvriers, les fermiers et dénonce la montée sans commune mesure des fascismes.

Poubelles

Germaine Krull photographie un homme en train de lire L’Humanité, dans un café. Juste à côté, un groupe d’hommes sont occupés à faire le portrait d’une statue : ce sont les membres de l’Association Photographique Ouvrière pris en photographie par Eli Lotar. Bien vite, les photographes de cette époque s’engagent dans les combats sociaux qui veulent lutter contre la misère. Ils témoignent des scènes choquantes qu’ils croisent dans les rues. Marcel Arthaud nous montre la distribution de la soupe de minuit aux Halles par l’Armée du Salut. André Papillon fait lui le portrait d’une famille en train de fouiller dans des poubelles à Paris. Scène bouleversante, aussi, de cette femme glanant de la nourriture dans les déchets d’un marché, signée Marcel Delius. Jacques-André Boiffard photographie une chaussure abimée et un pied qu’on suppose être celui d’un clochard.

Partie de campagne

Mais ils ne font pas que dénoncer la misère. Ils soulignent les petits métiers du peuple et leur font honneur. André Kertész réalise par exemple le portrait d’un boucher aux Halles, en 1927. L’homme pose devant des carcasses de viande, les couteaux rangés dans sa ceinture, un grand tablier sur lui, le regard perçant, vif. C’est le début d’une « photographie humaniste » que porteront bientôt Doisneau, Brassaï, Henri Cartier-Bresson. Ce dernier, d’ailleurs, prend en photographie l’ « éden ouvrier ». Il s’arrête sur une scène qui était alors fréquente à cette époque : des gens du peuple se délassant sur les bords de la Seine le week-end tandis que la France était sur le point d’adopter les congés payés (1936). C’est l’imaginaire d’un plaisir simple, la partie de campagne, les bords de Marne…Non loin de là, cependant, des images donnent à voir l’envers du décor : la difficulté des conditions de travail pour les ouvriers. Des reportages en Belgique sur l’industrie minière dans le Borinage révèlent toute la noirceur de ces destins.

Fascisme rampant

Des destins en lutte pour gagner en droits et en autonomie. Une section de l’exposition insiste sur les mobilisations. Eli Lotar photographie par exemple une manifestation à la porte de Bagnolet en 1934. Ce sont de gigantesques pancartes brandies par une foule fiévreuse et mécontente. C’est aussi la main levée que photographie Willy Ronis, une femme hurlant quelque chose à ses collègues lors d’une prise de parole aux usines Citroën-Javel en 1938. C’est encore le poing fermé et ferme d’André Malraux, défendant alors le monde de la culture en 1935 et fixé par Gisèle Freund. À côté, une photographie de Pierre Boucher montre un enfant brandissant un drapeau français, le regard sombre, l’air contrarié. Sens-t-il la menace qui pèse alors sur le monde ? Dans quelques années, Hitler envahira le pays et il en sera fini de cette liberté qui caractérise le travail de ces photographes engagés. Ils auront tout fait pour dénoncer le fascisme rampant et notamment des photographies de la guerre d’Espagne. Comme celle d’Henri Cartier-Bresson où des enfants jouent parmi les ruines à Séville. Témoignage direct et profond des premières victimes de ce conflit mondial qui pointe à l’horizon.

Jean-Baptiste Gauvin

 

Photographie, arme de classe
7 nov. 2018 – 4 févr. 2019
Galerie de photographies
Centre Pompidou
Place Georges Pompidou
75004 Paris

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