Rechercher un article

« La panthère des neiges » – Un film de Marie Amiguet et Vincent Munier

Preview

Le célèbre photographe animalier sort un documentaire au cinéma réalisé avec sa compagne sur son expérience de la recherche de la panthère des neiges au Tibet. Un film chargé d’étonnantes images avec la présence et le commentaire, dit en voix off, de l’écrivain Sylvain Tesson. De son côté, L’Œil de la Photographie a réussi à entrer en contact avec la panthère tant recherchée qui donne en exclusivité sa vision des choses.

 

« Je suis la panthère des neiges. Je vous vois, hommes, avancer vers moi dans ce projet dément que vous avez de vouloir attraper mon image.

Dès que vous avez posé le pied au Tibet, même avant, je vous voyais déjà. J’étais là, dans les parages proches ou lointains, à vous darder d’un œil mi-inquiet, mi-amusé.

Intrigué, aussi, par cette étrange équipée que vous formez : la réalisatrice, le preneur de son et surtout ces deux copains, le photographe au visage de renard et l’écrivain à la tête d’ourson.

Tous les deux en compagnonnage, marchant dans la zone où je respire, cet espace immense dans lequel dansent des lumières vives et des nuages troués qui fondent sur un plateau sans limites.

Je suis partout, hommes. Je suis inscrit dans la ligne des roches aux couleurs de la rouille, dans le cri d’un cheval sauvage qui cavale sur le sable brun, dans le vol majestueux d’un aigle qui veille sur son nid.

À peine arrivé, il faut que vous vous fassiez remarquer. Vous n’arrêtez pas de commenter les choses. En général, je ne distingue pas tellement qui de l’un ou de l’autre est en train de parler. Question de phrasé ou de mots employés sans doute, et il me faut tendre longtemps l’oreille pour discerner s’il s’agit du photographe ou bien de l’écrivain. Peu importe. Vous êtes là pour la même chose et je vous considère comme frères de quête, mêmes mains tendues vers l’impossible.

Faites attention, car vous êtes chez moi. En y posant les pattes, vous êtes pris dans l’engrenage et vous rentrerez chez vous différents.

Vous rentrerez changé. Plus fauve en un sens. Plus fauve, car vous aurez appris à voir un peu mieux ou un peu plus avec vos sens.

Maintenant, avancez.

Faites un pas.

Et voilà, vous les voyez tout à coup, près des grands rochers noirs.

Ils sont énormes, magiques.

Ce sont les présences totémiques d’un monde ancien. Des yaks sauvages.

Avec les mêmes cornes que celles des taureaux de la grotte de Lascaux. L’écrivain, tu dis : « La préhistoire pleure et chaque yak en est une larme ». Tu as de jolies formules, je suis d’accord.

Les yaks, c’est moi qui vous les ai envoyés pour vous faire une danse de bienvenue.

Celle qui me permet de cerner un peu mieux quel genre d’hommes arpente les dunes de ma vie.

Je me demande : que venez-vous chercher ici au fond ? Que venez-vous faire dans ces steppes rocheuses où rien ne se donne facilement ? Que faites-vous dans ces grandes fumées qui bercent les montagnes et confèrent à l’air ambiant une charge mystique ?

Vous devez être deux fous, deux désœuvrés bien drôles, deux amis loufoques qui ont perdu la boule ou leur boussole, sans doute peu compris de vos semblables.

À moins que vous soyez les précurseurs d’un être humain que je ne connais pas encore. Qui se soucie bien mieux de la faune et de la flore qui l’entourent.

Et qui fera date.

Je pense à ces nomades que j’ai rencontrés autrefois. Ils vivaient et comprenaient ce que signifiait le mot « harmonie ». Exactement le même que tu prononces, le photographe. Tiens, tu commences à me plaire toi. Je dois bien te le dire, tu as une tête sympathique et j’aime bien ta prévenance avec l’écrivain.

Je vous ai laissé il y a longtemps une empreinte dans la boue, maintenant fossilisée par l’assèchement de la terre. Vous la regardez avec une fascination qui me fait rire.

Comme si j’étais plus important que tout.

N’oubliez pas : c’est moi, hommes, qui décide quand me montrer.

Ne croyez pas qu’avec vos tenus de camouflage, bien moches au demeurant, votre piège photographique que vous placez entre les rochers et qui déclenche une prise de vue au moment où un être passe devant, pourrait me surprendre. Je sais parfaitement ce que je fais.

Et je vais me faire désirer.

Des jours à vous faire attendre. J’adore.

Cela vous contraint à aller chez des fermiers tibétains.

Rien ne me fait plus plaisir que d’entendre vos échanges maladroits, vos langues qui ne se comprennent pas, vos cultures si différentes et vos tentatives pour faire du lien.

Là est mon esprit, hommes.

Voilà pourquoi je vous offre déjà une image : moi en train de passer devant votre caméra-piège. Vous la découvrez plus tard et il faut voir vos yeux d’enfants, émerveillés par la texture de mon pelage. L’écrivain, décidément, tu as des phrases pas mal. Quand tu regardes autour de toi et dis après m’avoir vu sur l’image : « Tout à coup, tout est rehaussé », j’avoue que j’ai un peu rougis.

Je réfléchis encore. Est-ce assez de vous avoir donné cette image ? Méritez-vous mieux ?

Je vois que vous perdez patience de ne pas me voir pour de vrai. Et pourtant, je veux vous éprouver. C’est cette qualité que j’attends de vous pour vous accorder enfin ce que vous cherchez.

L’écrivain, tu dis que vous allez partir bientôt.

Que tu te résous à partir sans m’avoir vu. Que tu te résous à partir comme ça, sans le « trophée », parce que tu as compris l’essentiel : que l’expérience déjà vécue ici suffit et qu’elle est magnifique en soi, sans forcément la photo qui va avec.

Et tes mots ont gagné.

Allez, j’avoue, j’ai envie de vous donner ce que vous recherchez.

Je vais vous laisser dormir dans ma grotte la nuit. Je vais vous faire de la neige au petit matin.

Et puis, je vais tendre ma queue au coin d’un rocher, tester l’acuité du photographe. Surgir !

Et voilà le sourire que vous affichez tous les deux maintenant : c’est cela que je voudrais tant voir de vous, hommes. Ce n’est pas si compliqué !

Un sourire qui englobe tous les visages d’à côté et qui est plus fort que tout.

 

Nota bene :

Si je me suis autorisé à me montrer à vous, c’est seulement pour que mon image circule et qu’elle réponde à votre désir pas possible de tout voir. Si je suis d’accord pour me donner à votre œil furieux, ce soleil trop chaud qui est en train de brûler le monde, cette rétine qui n’en finit pas de jouir des surfaces, c’est pour que vous arrêtiez de me chercher là-haut !

Que le fait de savoir que je suis dans ces montagnes vous suffise.

Que le sourire qui vous vient à la seule pensée que je marche quelque part dans ce monde puisse réparer tous vos cœurs. »

Propos recueillis par Jean-Baptiste Gauvin

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android