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« La nature contre-attaque » vue par Emmanuel Lenain

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Après avoir démontré la Tendresse du Béton dans les monuments indiens de Le Corbusier, l’ambassadeur de France à Delhi et photographe passionné Emmanuel Lenain présente une autre de ses investigations photographiques sur l’urbanisation de l’Inde, au sens où « quand l’homme tourne le dos, la nature contre-attaque ». Se référant délibérément à un épisode de la saga Star Wars « L’Empire contre-attaque », il a voulu souligner la revanche tous azimuts de la nature sur l’urbanisation de l’homme. Il s’agit d’une série de quarante et une photographies en noir et blanc montrant comment les arbres, la végétation, les racines des arbres et les vignes poussent à l’état sauvage et avec vengeance, dans les villes et les bâtiments en Inde. En contraste avec la vision structurelle, géométrique et rationnelle de l’architecture et de l’urbanisme de Le Corbusier de sa précédente exposition, les photographies d’Emmanuel Lenain ici donnent une impression de paysage de fin du monde quasi apocalyptique, tel qu’il est dépeint au cinéma et dans les séries télévisées. Emmanuel place la dialectique homme contre nature devant nous et explore comment la photographie peut saisir le moment où le chaos prend le dessus. Si la structure et l’ordre sont la face du monde d’en haut alors le chaos résumerait ce que pourrait être le monde d’en bas (le sens originel du mot chaos en grec : abîme). Pour citer Emmanuel,

« Dans les grands centres urbains, on ne voit (la nature) que par des aperçus fugaces à travers des interstices, de manière presque cinématographique. Mais partout on la voit prête à revendiquer ses droits. Dès que l’homme se lâche un peu, les vignes apparaissent en plein milieu des immeubles, les arbres poussent à la verticale sur les façades, les voitures se couvrent de végétaux.

Le plus frappant est ce trou dans le mur, une fenêtre ou un miroir encadrant une sorte de « capture d’écran » du plus ancien cimetière de l’Inde, le cimetière Jadid Qabristan Ahle Islam à New Delhi, qui a servi de lieu de sépulture désigné pour les victimes du Covid. Dans une composition qui rappelle l’ultime installation de Marcel Duchamp : « Étant donnés : 1. La chute d’eau, 2. Le gaz d’éclairage » (1944-1966) où le spectateur est invité à regarder à travers une paire de judas, pour voir un corps allongé sur un lit de brindilles en bordure d’un paysage apparemment boisé. Duchamp aurait-il pu prédire comment la nature finirait par l’emporter sur l’homme et effacerait un jour tous leurs signes de civilisation ?

Une autre scène surréaliste représente d’énormes colonnes de terre dans une sorte de carrière creusée par des bulldozers ou des excavatrices formant une colonne tronquée à la Buren, au sommet de laquelle se dresse un arbre solitaire, comme ces foyers résistants en Chine appelés «maisons clous» (dingzihu) qui refusent obstinément leur éviction par des promoteurs de réaménagement urbain. Cet arbre solitaire se distingue comme la bannière du dernier combattant prêt à riposter.

Il ne s’agit pas d’une simple dialectique entre l’homme et la nature, Emmanuel Lenain dans son précédent métier a pu constater à quel point la croissance à grande vitesse et le développement urbain ont défiguré les villes chinoises. Alors qu’en Inde, parcourant dix-huit villes, il verrait les signes subtils et moins subtils de la révolte de la nature de Calcutta à Chandernagor, de Mumbai à la ville sainte de Varanasi. Varanasi ou Bénarès est la ville la plus sainte de l’Inde (pour les hindous et les bouddhistes), où Siddhartha Gautama le Bouddha a prononcé son premier sermon sur les Quatre Nobles Vérités (la vérité de la souffrance, la vérité de la cause de la souffrance, la vérité de la la fin de la souffrance et la vérité du chemin qui mène à la fin de la souffrance). La caméra d’Emmanuel a capturé un maillage de racines d’un banian géant monstrueux se tordant et tournant, luttant pour sortir d’un mur de briques en cascade. Est-ce le même banian sous lequel Siddhartha a atteint l’illumination ? Goethe a dit « toutes les choses périssables ne sont que des symboles » ou « tout ce qui est transitoire n’est qu’une métaphore », une expression parfaite de la « nature » transitoire des êtres humains, et des bâtiments de l’homme, par rapport au cycle éternel de la mort et de la renaissance de nature.

Rappelons que ce conflit entre un développement effréné et une nature revancharde se soldera par un résultat incertain à cause d’un troisième acteur : le changement climatique, qui bouleversera les donnes.

Jean Loh

 

Une exposition à la Contemporary Art Gallery, Bihar Museum, Patna Bihar Inde. Du 22 juin au 22 juillet 2023, en amont de la Biennale d’Aout de Bihar www.biharmuseum.org

Exposition précédente : « La Tendresse du Béton » au Government Museum of India à Chandigarh, du 18 avril au 30 juin 2023.

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