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La guerre n’est que la moitié de l’histoire : les 10 ans de l’Aftermath Project

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« Pas de slogans, pas de séances photos
Et cela dure pendant des années.
Toutes les caméras sont parties
Vers d’autres guerres. »

L’ouvrage récemment publié par Dewi Lewis à l’occasion des dix ans de l’Aftermath Project, organisation à but non lucratif qui s’attache à raconter l’autre moitié de l’histoire des conflits, s’ouvre sur un extrait de ce poème de Wislawa Szymborska, lauréate du Prix Nobel de Littérature en 1996. L’Aftermath Project a été lancé à l’initiative de la photographe Sara Terry, après qu’elle a réalisé que « chaque histoire de guerre intègre un chapitre qui reste presque toujours sous silence – l’histoire des conséquences, qui deviennent, jour après jour, le prologue du futur », écrit-elle en introduction.

Convaincue que cette partie du récit manquait dans le paysage médiatique, elle est partie en Bosnie au début des années 2000 pour témoigner de la longue reconstruction d’un pays en passe de retrouver la paix. « Il s’agit d’histoire, de futur, de notre humanité, de ce que nous oublions, de ce dont nous devrions nous rappeler, de ce que nous devrions comprendre pour ne pas refaire la même chose. C’est un sujet bien plus complexe et nuancé que le conflit en soi, qui est lui foutrement clair. Il arrive bien souvent que les querelles trouvent leurs racines dans les conséquences d’une ancienne dispute – l’après-guerre consiste avant tout à empêcher le conflit », explique t-elle. En parallèle de son œuvre personnelle, elle a lancé l’Aftermath Project, qui s’est développé au fil des ans. D’abord simple programme d’octroi de subventions, il est également devenu un projet éducatif. « Il est important d’atteindre les écoles et de développer une pensée critique sur le conflit et ses conséquences. Approfondir cet aspect sera l’un de nos objectifs principaux dans les années à venir », insiste t-elle.

Pour le moment, l’ouvrage rétrospectif, qui tire son titre de son observation à l’origine du projet, War is only half the story (« La guerre n’est que la moitié de l’histoire »), atteste de l’intégration des conséquences du conflits aux récits actuels. « Quand je regarde les dix dernières années, je me rends compte que la discussion sur les conséquences du conflit existe aujourd’hui. Dans l’Amérique post-11 septembre, on ne parlait que du conflit. Quand je disais aux gens que je travaillais sur ses conséquences, ils demandaient : ‘Que voulez vous dire ? Je ne comprends pas.’ Et les médias avaient tendance à traiter de la question de l’après à partir d’un angle chronologique simpliste, du type ‘Dix ans après’… » résume t-elle. Dix ans après le début de l’Aftermath Project, ce sont des histoires largement couvertes par les médias, et servies par une multitude de langages.

L’ouvrage passe des oeuvres documentaires aux pratiques conceptuelles. On y trouve par exemple des paysages d’Andrew Lichtenstein, qui présentent plusieurs niveaux de lecture. Ils représentent des sites historiques américains, et démontrent le lien troublant entre mémoire et conflit. « La photo des trois femmes assises sur un banc est surprenante et riche de sens », livre pour exemple Terry. Prise à Montgomery, en Alabama, elle montre trois femmes qui se reposent sur un banc le jour du 150ème anniversaire de l’investiture du Président des Confédérés, Jefferson Davis.

C’est sur ce banc que Rosa Parks a attendu le bus dans lequel elle a été arrêtée en 1955, événement qui a aidé à lancer les mouvements pour les droits civiques. « La célébration des Confédérés [c’est à dire des états sécessionnistes qui voulaient maintenir l’esclavage] s’est tenue précisément à l’endroit le plus important pour le mouvements pour les droits civiques. Cela en dit long sur la complexité de certaines photos », poursuit Terry. Divisé en cinq chapitres qui font écho aux poèmes de Szymborska, l’ouvrage évolue vers un récit plus lumineux, introduit en ces termes : « Ce monde terrifiant n’est pas dépourvu du charme des matins où l’on se dit qu’il vaut la peine de se lever, » et « La réalité nous impose de dire aussi ceci : la vie continue. »

« L’après est le moment où nous cherchons à définir notre humanité. La guerre essaie de la détruire, et l’après nous permet de la revendiquer à nouveau. Il me semble que c’est cette question qu’explorent les deux derniers chapitres. C’est une chose qui m’avait beaucoup étonnée en Bosnie. Certaines musulmanes avaient été violées et renvoyées de chez elles, mais elles voulaient revenir. Je voulais comprendre pourquoi elles voulaient rentrer. C’est une composante puissante de l’esprit humain, » explique Terry.

Cette poussée vers la joie n’est toutefois pas dépourvue d’une certaine subtilité, et le dernier chapitre intègre par exemple une photographie du Ku Kux Klan par Christopher Capozellio. La légende indique : « Ils rient parce que pour eux, c’est une blague, mais je regarde ses yeux et ses mains serrant le bâton. Il frappe la poupée, en cherchant des yeux l’accord de ses parents, et découvre des visages qui sourient à ce qu’il a fait », fonctionnant comme une mise en garde pour le futur. « Je ne pense pas qu’une photo puisse changer le monde, ni qu’elle doive porter ce poids. Si une photo fait bien son travail, elle nous rappelle ce que c’est qu’être humain. Elle lance une discussion sur notre humanité, même lorsqu’elle montre l’inhumanité », explique Terry. « Les photos peuvent changer notre perception du monde, puisqu’elle nous rappellent qui nous voulons être et qui nous ne voulons pas être. »

 

Laurence Cornet

Laurence Cornet est une journaliste spécialisée dans la photographie. Elle est également commissaire indépendante. Elle vit entre New York et Paris.

 

War is only half the story – Les dix ans de l’Aftermath Project
Edité par Sara Terry et Teun Van der Heidjen
Publié par Dewi Lewis
45$

https://www.dewilewis.com/products/war-is-only-half-the-story

Voir aussi :
http://www.saraterry.com/
http://theaftermathproject.org

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