Pour L’Œil de la Photographie, les livres photographiques comptent autant qu’une exposition ou un portfolio. Ils font l’histoire et l’actualité du médium. Notre correspondante Zoé Isle de Beauchaine porte un regard inlassablement curieux et averti sur les dernières parutions.
Des looks à la James Dean, des coupes dignes d’un Fats Domino, un cuir sur les épaules ou une chemise floquée Elvis agrémentée d’une cravate texane, des battes de baseball à la main et des photos de pin-up au mur… Les « rebels » de Philippe Chancel sont tout droit sortis de l’Amérique des fifties.
C’est pourtant dans la France des années 1980 que ces jeunes noctambules roulaient des mécaniques. Une France métissée, la ‘France black-blanc-beur’ avant l’heure, qui a fait de Paname son terrain de jeu, entre Nation, République, Gare de l’Est ainsi que les Grands Boulevards où Albert organise des soirées endiablées. Elle se révèle avec panache dans l’ouvrage de Philippe Chancel qui, pendant six mois entre 1982 et 1983, a photographié deux bandes rivales sur fond d’amitié : les Del-Vikings et les Black Panthers.
Le début des années 1980 est une période mouvementée en France. L’euphorie engendrée par l’élection de Mitterand fait rapidement place à une crise idéologique de la gauche. Le pays, enlisé dans le chômage, n’échappe pas à la déferlante néolibérale ni à la montée du Front national qui va de pair avec celle des violences envers les immigrés. Comme un pied de nez « au pitoyable spectacle que donnait à voir les prémices d’une odieuse campagne électorale », les Del-Vikings et les Black Panthers sortent, fument, boivent, se coiffent, dansent, draguent, s’embrassent et ne jurent que par le rock’n’roll, suprême exutoire.
Le photographe a pensé Rebels comme un morceau de rock : « Je voulais dégager une énergie singulière et assembler un récit photographique qui finalement n’ait pas de début ni de fin, c’est un récit conçu comme une musique entêtante qui tournerait en boucle. Et il y a un rythme qui doit être celui du rock, c’est-à-dire assez binaire. Noir et Blanc, accéléré et ralenti, ombre et lumière, révélé et caché, champs et hors champ, souvent deux personnages . » Happé par l’énergie brute de cette jeunesse audacieuse, le lecteur ne peut résister au rythme entraînant des images, portées par une composition puissante et des contrastes que la trichromie magnifie.
À 22 ans à peine lorsqu’il prend ces photographies, Philippe Chancel a fait ses marques avec les Del-Vikings et les Black Panthers, avant de parcourir le monde pour produire une œuvre toujours plus engagée. Longtemps restée enfouie dans ses archives, cette série bouillonnante a récemment refait surface, attirant notamment l’œil du réalisateur Jimmy Laporal-Tresor qui s’en est inspirée pour son films Les Rascals, en salles le 11 janvier.
Philippe Chancel – Rebels, une jeunesse de France
Edité par The Joker Films, 2022
245 x 340 mm, 136 pages
https://philippechancel.com/Rebels