Comment traduire l’indicible ? Dans La grande maison, son premier livre publié aux éditions du Caïd, la photographe Natalie Malisse revient sur les lieux de son enfance pour affronter les cauchemars qui y sont nés.
Pendant des années, les nuits de Natalie Malisse ont été habitées de cauchemars récurrents liés à des souvenirs d’enfance attachés à la maison où elle se rendait un week-end sur deux. En 2018, la photographe belge a décidé de retourner dans cette demeure qu’elle appelait « la grande maison » pour mettre en images les décors de ces rêves traumatiques et les ombres de son enfance.
Les pages de gardes couvertes du papier peint de sa chambre d’enfant donnent le ton. Défilent ensuite des photographies en noir et blanc. Celles-ci évoquent plus qu’elles ne racontent la violence de ces moments passés dans la maison paternelle. Natalie Malisse amène l’idée du rêve jusque dans son livre. Les pages se tournent et font naître des images évanescentes, les mêmes qui apparaissent sans crier gare au cœur de la nuit. Des images où rien n’est certitude. Les lieux photographiés sont ici difficilement identifiables, composés de morceaux de décors — un rideau, un bout de trottoir — ou d’objets dont on ne peut expliquer la présence mais qui ramènent des « souvenirs enfouis ».
Pour Natalie Malisse, certains de ces objets deviennent symbole de la violence qui se cache derrière les apparences. Ils renvoient à cette question du secret, du non-dit, qui domine le livre. À l’heure où la parole autour des violences faites aux enfants se libère, la photographe tenait surtout à souligner la violence que constitue l’impossibilité de parler, la difficulté de dénoncer. En écho à cette loi du silence, les violences verbales subies alors qu’elle n’avait que cinq ans sont barrées, le témoignage reste tabou.
L’atmosphère du livre répond à cette confrontation entre le cri de l’enfance blessée et le silence enveloppant de ces images monochromes, de ces lieux peuplés d’objets subtilement menaçants, où la vie est en apnée et les visages dissimulés.
Les personnages qui peuplent La grande maison sont en effet tous de dos, évoquant autant les êtres anonymes de nos rêves que des témoins silencieux. Seule Natalie Malisse nous regarde droit dans les yeux. Elle nous somme de faire face à ce passé qui est le sien et de l’accompagner dans ce voyage rétrospectif. Ce lieu où tant de souvenirs traumatiques avaient été enfermés, la photographe y pénètre avec nous, pour ouvrir la porte et les laisser s’échapper : « La petite fille n’est plus toute seule dans la grande maison. »
Natalie Malisse – La grande maison
Editions Le Caïd, 2024
15,7 x 22,2 cm, 92 pages
ISBN : 978-2-930754-50–5
Disponible dans les bonnes librairies et en ligne
Une rencontre et sgnature aura lieu à la galerie Echo 119 à Paris, le mercredi 3 avril de 18h30 à 20h30.