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La Chronique Livre : Larry Sultan : Swimmers

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À l’âge de douze ans, le photographe américain Larry Sultan a échappé de justesse à la noyade. Une quinzaine d’années plus tard, il découvre un manuel de natation de la Croix-Rouge dont les photographies noir et blanc lui inspirent une série sur l’apprentissage de la nage. Le projet devient rapidement une exploration du potentiel formel de l’eau dont les images captivantes sont longtemps restées dans l’oubli. Réunies pour la première fois dans un ouvrage édité par la maison d’édition britannique MACK, elles révèlent une facette méconnue de l’œuvre du photographe.

Sous son élégante couverture, Swimmers est une série sur des morceaux de corps flottant, nageant ou jouant dans l’eau. Ces silhouettes prises dans une étrange et silencieuse chorégraphie ont quelque chose d’onirique. Les ondes chlorées les déforment jusqu’à l’abstraction tandis que les percées de lumière les parent de tâches. Parfois, c’est l’éclat diffus du flash de Larry Sultan qui en dessine les contours. Les couleurs prennent une teinte particulière. Tantôt vieillies, tantôt éclatantes, elles se détachent avec poésie du fond azuré.

Ce superbe florilège est le résultat de cinq ans passés dans des piscines publiques de la baie de San Francisco. Entre 1978 et 1982, muni de son Nikonos, Larry Sultan y a photographié des personnes de tout âge apprennent à nager. Lorsqu’il amorce ce projet, il a en tête de conjurer sa propre peur des eaux profondes. La photographie l’y aidera : c’est en voulant capturer certaines scènes qu’il quitte le petit bassin pour s’aventurer vers la partie plus profonde de la piscine.

Outre cette approche presque psychologique, Larry Sultan entend « pousser le médium jusqu’au bout de ses limites perceptives ». Visuellement, ce travail trouve écho chez André Kertész qui a lui-même tenté de repousser les limites du médium par l’intermédiaire de miroirs déformants. Ces silhouettes tourmentées par les ondulations de l’eau ne sont pas sans rappeler les Distorsions du photographe hongrois.

L’exploration essentiellement formaliste que constitue Swimmers a suscité quelques critiques à l’époque. Au tournant des années 1980, la photographie est accaparée par la pensée postmoderne. Dans le passionnant essai qui clôture l’ouvrage, l’historien de la photographie Philip Gefter rapporte que Larry Sultan n’était lui-même pas entièrement à l’aise avec cette série : « Il était inquiet que les images soient trop belles, trop faciles, et pire encore, hors de propos par rapport à ce qui se faisait à l’époque. Pendant des années, il a refusé de considérer Swimmers comme un ensemble d’œuvres viables. » Ce projet constitue pourtant une étape cruciale de son œuvre, marquant le passage entre son travail conceptuel et les clichés plus narratifs de Pictures from home, The Valley et Homeland.

Abstraite et poétique, sensorielle et instinctive, cette série étonnante est peut-être la plus personnelle de Larry Sultan, qui, en confrontant sa peur des eaux profondes et ses incertitudes face au médium photographique, se révèle dans toute sa vulnérabilité.

 

Larry Sultan – Swimmers
Mack Books, 2023
30 x 25.2cm, 144 pages
ISBN 978-1-915743-05-3
Avril 2023
€60 £50 $65
Disponible en bonnes librairies et en ligne

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