Pour cette Chronique Livre, Zoé Isle de Beauchaine fait un pas de côté et donne la parole à HAPAX, un magazine au format inédit imaginé par Christiane Monarchi, fondatrice de Photomonitor et Gordon MacDonald, ancien rédacteur-en-chef de Photoworks. Hapax est un incubateur d’idées photographiques, couchées sur papier exclusivement !
Cette publication peut apparaître comme une provocation pour les lecteurs réguliers de L’Oeil de la Photographie. Pourquoi voyons-nous ici des pages sans photographies, alors que cette belle plateforme est destinée à partager des images ? Bienvenue chez Hapax Magazine, une publication créée pour incuber de nouvelles idées photographiques sur papier, sans les partager sur internet.
Le magazine est née en réaction à la croissance exponentielle du partage d’images en ligne, avec des artistes créant et publiant leur travail sur Instagram, le tout librement accessible. Pourquoi ? Qu’est-il advenu de l’importance de cultiver de nouvelles idées, de leur donner l’espace pour grandir et trouver des lecteurs attentifs ? Un des résultats de cette saturation est la reprise de ces images par toutes les entités de presse. Livres photos, expositions : on peut voir la même chose encore et encore, gratuitement. Est-ce la voie à suivre ?
Autre effet néfaste de cette sur-circulation des images : les artistes ne sont souvent pas rémunérés. Où trouver un magazine de photographie dans lequel toutes les idées présentées sont nouvelles et qui rémunère les personnes à l’origine de ces idées ? Hapax Magazine devait naître.
Le nom « hapax » vient du terme littéraire « hapax legomenon » décrivant une création unique au sein de l’œuvre d’un auteur, quelque chose qu’ils n’exprimeront qu’une seul fois. Les éditeurs, Christiane Monarchi et Gordon MacDonald, ont invité des artistes et curateurs internationaux travaillant avec l’image et désireux de tester de nouvelles idées qui s’écartent de leur pratique créative habituelle. Essayer de nouvelles idées, prendre un risque, et ce sur les pages d’un magazine.
À partir d’un appel à idées international biannuel (gratuit), ils sélectionnent plusieurs projets pouvant être adaptés à une publication. Les mots accompagnant les images dans chaque article varient entre essai et poésie, prose et interviews. Aucune thématique n’est imposée, outre le fait que chaque idée publiée doit être inédite. Chaque appel permet d’atteindre de nouvelles zones géographiques. Les six premiers numéros ont mené à 40 commandes internationales faites à des artistes, des collectifs et des curateurs.
Ce parti-pris éditorial trouve un écho favorable auprès des créatifs ainsi qu’un lectorat de plus en plus large. Il n’y a pas de publicités, juste des abonnés, des lecteurs, des boutiques et des distributeurs voulant soutenir ce modèle économique.
Dans le numéro 5 récemment publié, Hapax emmène les lecteurs dans un voyage à travers des histoires créées par le paysage architectural de l’Algérie (Issam Larkat), un conte-collage d’un homme avec un arbre sur la tête (Tshepiso Moropa), des reliquats de graffitis dans l’Iran post-révolutionnaire (Mohsen Yazdipour), les réalités parallèles d’Elvis Presley (Regine Petersen), une lettre d’amour aux unités externes des climatisations (Máté Bartha), les possibilités créatives de la crise de la quarantaine (Jenny Lewis), et les paysages visuels et psychologiques des rêves en exil (Amak Mahmoodian). Chacune de ces rubriques est soigneusement élaborée sur la page, avec notamment des dépliants pour créer une sorte d’exposition personnelle et d’expérience tactile.
À une époque de surcharge visuelle et de répétition, Hapax Magazine « crée un espace pour incuber de nouvelles idées, les partager avec un public, et faire en sorte qu’elles restent spéciales. » Au cours des deux dernières années, plusieurs projets ont évolué en expositions ou livres photo. Cette année, les éditeurs prévoient de participer à des salons du livre à Londres, Paris, New York et Amsterdam, et travaillent actuellement sur le prochain numéro qui sortira cet automne. En accord avec notre politique éditoriale, seules les couvertures, conçues par Ania Nałęcka-Milach, sont montrées ici. Longue vie à la presse papier !
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