Patrick Modiano
Dans un coin de la salle, Daniel Filipacchi est assis seul en train de lire un journal. Il aime bien ce petit restaurant, il y a ses habitudes. Il faut dire que depuis son plus jeune âge, dans le 6ème arrondissement il est chez lui. En train de lire un article du « Monde » consacré au prix Nobel décerné la veille à Patrick Modiano, il ne voit pas qu’à ce moment précis, ce dernier est en train de pénétrer dans la salle en compagnie de sa femme Dominique et de leurs deux filles. Tandis qu’il installe sa famille à leur table, Patrick aperçoit Daniel très concentré sur son journal. N’aimant pas se faire remarquer, pour lui, traverser une salle est toujours une épreuve. Il va néanmoins jusqu’à Daniel. Plongé dans sa lecture, l’espace d’une seconde, celui-ci ne le remarque pas encore, puis réalisant qu’il s’agit de cet ami dont le journal fait l’éloge, il lui tend la main en le félicitant. Et là, le moment frise le comble de la délicatesse. Au départ on pourrait penser que tout les sépare. Leurs préoccupations respectives ont forgé deux destins opposés, Daniel se lève tard quand Patrick se lève tôt, mais à leur manière tous les deux sont des créateurs. Pour Daniel l’argent n’est qu’un moyen de réunir des talents, avec ses cent journaux Dieu sait s’il en a fait éclore. Patrick, comme tout écrivain, est l’esclave de son art et l’argent est une abstraction dont il aimerait seulement qu’elle lui permette de s’acheter une maison. Finalement leur point de ralliement c’est le respect de l’écrit. Si Patrick lui fait face, ce n’est évidemment pas pour évoquer le Nobel, mais pour féliciter Daniel de la parution de son livre « Ceci n’est pas une autobiographie », sorti il y a quelque temps. Scène magnifique : un auteur qui vient de recevoir le prix le plus rare, le plus convoité du monde, est en train de féliciter un homme extraordinaire, pourtant si loin de lui, mais dont il n’a jamais oublié le rôle prépondérant dans la presse du siècle dernier.
Alors lui, le célèbre écrivain aux vingt-neuf romans, fêté par la crème de la planète littéraire, est venu sincèrement le féliciter pour l’écriture de son premier ouvrage. Quelle élégance…
Jean-Marie Périer
