Les Immobiles de Léa Habourdin et Thibault Brunet sonne comme une proposition, au sens généreux du terme. D’abord à travers une volonté de s’éloigner de paradigmes par déjà trop usités, et qui ne sauraient exister en dehors d’une iconographie régie par l’univers des jeux et des paris. Ensuite, parce que c’est en allant chercher la matière de l’histoire qu’ils se sont racontés, que se sont dessinées ces images marquées par la rencontre.
C’est le Nord de la France qu’ils ont choisi pour planter le décor de ce récit dont ils ignorent tout encore et qu’ils verront bientôt s’animer au gré des points de chute qui seront les leurs. La côte d’Opale, Boulogne-sur-Mer, le Pas-de-Calais, des scénettes de troquets, des bouts de gens, des billets ou encore le détail d’un marc asséché au fond d’une tasse posée sur le zinc… Durant deux mois, les artistes se sont fondus parmi les guichets, tenus près des comptoirs et ont apprivoisé les règles inhérentes à la vie du tir. « Jour après jour », expliquent-ils, ils sont devenus « des habitués, des amis ». S’ils gagnent le cœur des hommes, c’est aussi pour se rapprocher des bêtes. Un éleveur de pigeons ici leur ouvre les portes de son écurie et, avec elles, les limites de sa condition. Car le duo préfère à l’hyper représentation du célèbre équidé, la potentialité métaphorique de l’oiseau. Enfermés dehors ou dedans, les êtres s’emploient à rêver aux mêmes voyages. Une liberté sans borne aux futurs volatiles.
Pour favoriser leur immersion, le tandem met en place trois modus operandi ou outils. Le piège photographique d’abord, originairement employé par les chasseurs ou les scientifiques, réagit en fonction du mouvement et de la chaleur. En se déclenchant, ils permettent d’enregistrer de courtes séquences. Nous pourrions y voir un clin d’œil à la décomposition du galop entreprit par E. Muybridge et, par ricochet, à la tradition chronophotographique. Vient ensuite la caméra de console de jeu qui, associée à un logiciel spécifique, scanne en 3D et reproduit en fragments, des coupes biologiques de l’espace. Le résultat donne curieusement l’impression d’une seule et même dimension, densifiée dans le plan et finalement écrasée. Des morceaux de lieux prédécoupés et repliés sur eux mêmes tels des fantasmes de diagrammes en image. Une façon peut être aussi, de déstigmatiser ces décors somme toute chargés de clichés. Pourquoi pas une déconstruction des présupposés affectés au monde du turf. Enfin, l’appareil argentique produit une matière chaleureuse qui se rallie à la proximité, se rabat sur les corps. Du noir aux gammes contrastées absorbe l’humain, l’anonymat qui rêve autant de vitesse, d’adrénaline que de fortune.
Pensées sous forme de grands diptyques et parfois même de triptyques, ces compositions visuelles ont des airs de flottement. La scénographie a su rester discrète et aérienne afin de laisser la place à ces juxtapositions, relayées au sol par des écrans vidéo. Ceux-ci sont à observer de haut depuis des coffres noirs et invitent, dans un jeu de va-et-vient à jongler du regard entre horizontalité et verticalité. Le sous-sol du BAL où se tient l’exposition n’a jamais paru aussi épuré. Une installation aux accents quasi religieux permet d’apprécier la distance qu’il fallait parcourir pour que la rencontre ait lieu. Car au-delà de figurer au centre de ce projet, il semble bien que l’idée, au fond, ait été de déjouer les codes. Avec en première ligne, la conscience accrue d’avoir à se dégager visuellement, et à travers la représentation, et l’illustration, d’un sujet donné. Pari, ici, relevé avec grâce et poésie. S’apparentant davantage à la bonne “pioche” qu’au pillage prémédité, les images de Léa Habourdin pour le noir et blanc, et de Thibault Brunet pour la couleur, saisissent sans en avoir l’air l’éphémère espoir d’une chance qui passe et qui s’arrête. La dernière phrase du texte, devenu alors partie intégrante de leur projet, conclue sans ambages sur ce qui fait l’essence des Immobiles puisque, avouent-ils, « de cet ensemble de prises, (…), d’images scannées, (…) en ressort un monde qui touche, qui émeut, un monde que nous avons aimé ».
Reconnaître chez les futurs lauréats ce qui saura, à chaque édition, se distinguer d’une esthétique éculée, voilà ce qui motive le prix PMU depuis maintenant cinq ans. Pour cet anniversaire, le PMU et le BAL ont invité les quatre lauréats précédents à montrer ce qu’ils sont devenus. Au rez-de-chaussée, Kourtney Roy ne fait plus tout à fait du Kourtney Roy et présente quatre clichés très éloignés de son style acidulé. Olivier Cablat expose son projet Duck, remarqué au Festival Images à Vevey l’an passé. Malik Nejmi quant à lui, a choisi de montrer quatre grands tirages noir et blanc de sa série La Chambre marocaine réalisée dans le cadre d’une résidence à la Villa Médicis. Enfin, Mohammed Bourouissa présente, pour la première fois à Paris, un immense cheval de papier mâché qui, campant au centre de la pièce sur d’étranges roulettes, accompagne une douzaine de dessins préparatoires à la réalisation d’un film (Horse Day). Une rétrospective de mi-parcours finalement, qui vient réaffirmer l’inscription de la Carte blanche PMU dans le paysage de la photographie contemporaine. Prix qui, de toute évidence, n’en n’est plus à son premier canter.
En partenariat avec Le BAL, l’exposition Carte blanche PMU 2015 bénéficie du soutien du laboratoire Picto.
A LIRE
L’interview de Léa Habourdin et Thibault Brunet ici
Et les 5 ans du PMU ici
EXPOSITION
Les Immobiles
Léa Habourdin et Thibault Brunet : Carte blanche PMU 2014
Du 14 au 25 janvier 2015
Le BAL
6, impasse de la Défense
75018 Paris
www.le-bal.fr
http://carteblanchepmu.fr
Les tirages de l’exposition ont été réalisés par Picto.
LIVRE
Les Immobiles
Léa Habourdin et Thibault Brunet : Carte blanche PMU 2014
Co-producteur : PMU / Le Bal / Filigranes
Parution : 14 janvier 2015
Hors Collection
Français
ISBN : 978-2-35046-341-4
Format : 190 x 250mm
136 pages
Broché
74 photographies en couleurs et noir et blanc
25 €
www.filigranes.com/main.php?act=livres&s=fiche&id=511
APPEL A CANDIDATURE
Carte blanche PMU 2015
Calendrier :
Jusqu’au 3 mars 2015 : envoi des dossiers de présélection
12 mars 2015 : présentation des projets au jury et choix du lauréat
Mars à juillet 2015 : réalisation de la Carte blanche PMU
Août à octobre 2015 : préparation de l’exposition et édition du livre
Modalités et appel à candidatures téléchargeables sur : http://carteblanchepmu.fr