La photographe norvégienne Mette Tronvoll investit le Kunstsilo Museum de Kristiansand avec son exposition Time, du 30 janvier au 25 mai 2025. Tout en présentant des portraits iconiques des années 1990, tirés des séries Double Portrait et AGE Women’s, Mette Tronvoll nous fait découvrir avant tout sa longue exploration des côtes suds de la Norvège, jouant avec la beauté silencieuse des îles et de l’arrière-pays.
Votre exposition commence par une série de portraits réalisés dans les années 1990 et se poursuit avec des œuvres récentes, prises pour la plupart sur l’île norvégienne de Hidra. La plupart de vos photographies demeurent figées, de plein-pied indiquant une continuité de méthode et de style, qu’il s’agisse de portraits ou de paysages, et ce pendant une période de trente ans. En ce sens, il y a en chacune des photographies une distance respectueuse avec votre sujet, même si vous chercher à en saisir son essence même, comme sa poésie intérieure.
Je suis allée récemment au MoMA et j’ai pu y redécouvrir les œuvres d’Eugène Atget, où l’on y voit les anciens bâtiments de Paris et son atmosphère. Et je demeure entièrement émerveillée par sa patience et sa capacité à rester dans l’instant. Mon travail cherche cette atmosphère, et il a peut-être ce côté scandinave en quelque sorte composé de distance et d’attention – à la nature en ce sens-là.
Vous avez mentionné August Sander et sa grande série Menschen des 20. Jahrhunderts (Hommes du XXe siècle) comme une référence clé dans votre travail. Pourtant, votre travail ne se limite pas aux portraits et vous semblez être passé de l’humain à la nature. Pourquoi August Sander demeure-t-il si important dans votre travail ?
J’ai vu et revu Sander ici et là au cours de ma vie. En 2003, je me suis même rendu à la August Sander Stiftung à Cologne pour une conférence avec Thomas Struth, et j’ai réalisé à quel point j’étais redevable envers son œuvre. C’est une épaule sur laquelle je m’appuie constamment. J’interprète son travail ou sa méthode à ma façon. La Norvège n’a pas de tradition photographique comme la France, l’Allemagne ou l’Amérique. Mais je pense que j’ai réussi à combiner ces références étrangères, Sander comme Atget ou d’autres, avec ma sensibilité scandinave et ainsi pouvoir sentir ce qui ressort de l’atmosphère de ce pays. Tout comme Sander, je souhaite vraiment produire des documents qui resteront, qui seront regardés comme une source pour l’histoire. Il s’agit de documenter le pays dans lequel je vis, de documenter son histoire et son évolution.
Dans votre exposition au Kunstsilo, vous présentez une série sur la mer nordique qui a été prise parmi les vagues, dans le ressac constant et l’incertitude de son équilibre. Vous avez photographié la mer principalement à Hidra, au large de la côte du Flekkefjord, dans le sud de la Norvège. J’ai senti dans cette série une volonté de composer avec l’horizon ; une idée qui est aussi très présente dans la façon dont vous avez organisé l’exposition, en jouant avec les lignes horizontales des photographies dans votre accrochage. L’horizon, bien sûr, demeure toujours présent sur une île, en particulier à Hidra que vous avez visitée en 2018, 2020 et, plus constamment, 2023. Quelle est la genèse de cette série ?
Les origines de cette série remontent au début des années 1990, lorsque je proposais à l’État Norvégien de documenter sa société et ses évolutions. Quand je suis revenu vivre en Norvège en 2007, après avoir vécu à Berlin, Paris ou New York, l’idée de documenter la culture des Norvégiens a ressurgi. Et je voulais commencer par la vie côtière norvégienne, qui n’est pas mienne. La série ne repose sur aucune nostalgie, mais elle veut raconter la richesse des forêts intérieures, la beauté des grottes naturelles et, bien sûr, l’importance de la mer. Elle dit les beautés et les ruines. J’ai été aidé par une douzaine de personnes qui m’ont mise en contact avec les insulaires de Hidra, qui m’ont montré les hangars à bateaux, comment les pêcheurs travaillaient, qui m’ont accueilli eux-mêmes sur leurs bateaux, et je crois que je serai marqué toute ma vie par la beauté de cette île.
Cette série réussit à figer le mouvement des vagues et des rochers sur un bateau, en jouant avec le rythme, les mouvements de montée et de descente de l’eau. Cette série pourrait être pensée comme l’inverse des longues expositions Seascapes de Hiroshi Sugimoto, figeant la mer en un horizon immuable.
J’étais à plusieurs reprises sur ce bateau lors d’une tempête en novembre et je voulais figer un moment précis dans chaque image. J’avais une idée de la mise au point que je souhaitais pour chaque image, et je pense que l’on peut très bien ressentir, ou avoir le mal de mer en les regardant. Il est très intéressant de comparer cette série à celle de Sugimoto, mais je n’y ai jamais pensé lorsque je l’ai réalisée. J’étais sûrement et entièrement occupée par le sujet, la mer, le bateau sur lequel je me trouvais.
Mette Tronvoll – Time
30 janvier – 25 mai 2025
Kunstsilo
Sjølystveien 8
4610 Kristiansand
www.kunstsilo.no