Dans le cadre de la quatrième partie de la série d’expositions Sheroes of Photography et à l’occasion de l’exposition complète de l’artiste cet été à la Berlinische Galerie, Kicken Berlin présente une sélection de séries rarement vues de l’œuvre vaste de Sibylle Bergemann en coopération avec sa succession.
Sibylle Bergemann est considérée comme l’une des plus importantes photographes allemandes depuis les années 1970. Avec son mari, Arno Fischer, elle a occupé une position clé dans la scène photo de la RDA et a publié ses travaux dans des revues d’art et de culture renommées telles que Sibylle, Sonntag et Das Magazin et dans des publications de livres. Après la réunification, elle a élargie l’étendue de son travail pour inclure les commandes de l’Allemagne de l’Ouest et internationales. Cofondatrice de l’agence Ostkreuz en 1990, elle a contribué à façonner une forme responsable de journalisme visuel. Ses essais photographiques reflètent la réalité sociétale sans la blanchir et vont souvent symboliquement au-delà. La photographie de mode et de portrait figuraient sur un pied d’égalité parmi ses thèmes centraux aux côtés des paysages urbains et des scènes de rue en situation, tout comme la poétique du quotidien. Les œuvres de Sibylle Bergemann sont conservées dans de nombreux musées et collections, dont le Musée d’Art Modern de New York ; la Tate Modern, Londres; Pinakothek der Moderne, Munich; et la Berlinische Galerie, Berlin.
Les gens et les lieux ont considérablement influencé et inspiré le travail de Bergemann. À Berlin, son port d’attache, la photographe a recherché les endroits calmes à la périphérie de la ville, plutôt que le centre plus typique, pour des œuvres privées et en commandes. Les voyages vers des « lieux non socialistes à l’étranger » étaient strictement réglementés et presque impossibles. Pourtant, déjà en 1984, bien avant la chute du Mur, elle a pu se rendre à New York et à Los Angeles en tant que membre de la Verband Bildender Künstler (Association des Beaux-Arts).
Dès le début des années 1970, Sibylle Bergemann assume une position d’observatrice à Berlin, participant à la situation, mais réservée. Elle avait l’œil pour les lieux et les gens particuliers, pour les rencontres inattendues, pour les particularités des scènes quotidiennes, pour la mélancolie et la beauté. Les transformations et les moments transitoires du quotidien n’ont jamais manqué d’attirer l’attention de la photographe, que ce soit en RDA, pendant la transition de la réunification ou après. Elle expose un potentiel poétique voire visionnaire, comme dans la série Das Denkmal (Le Monument) le monument de Marx-Engels du sculpteur Ludwig Engelhardt.
Son sens de la nuance au sein d’un microcosme social est rendu visible dans la série Clärchens Ballhaus des années 1970. Une autre série sur les femmes dans le monde du travail au début des années 1990 sera présentée pour la première fois publiquement avec plusieurs exemples choisis dans l’exposition de Kicken Berlin. Des femmes dans une grande variété de domaines se tiennent devant la caméra pour affirmer leur position, littéralement. Elles conservent leur propre espace et leur propre dignité, même lorsqu’elles sont peut-être en état de bouleversement.
Observant un environnement étranger et incertain mais aussi intrigant et nouveau, Bergemann a d’abord traversé les États-Unis, puis l’Europe occidentale et l’Afrique. À Manhattan, elle a adopté une perspective de flâneur, dérivant à travers les canyons de béton, s’emboîtant dans le flux des gens. Ses images montrent son affinité avec les maîtres américains de la photographie de rue comme Walker Evans et Garry Winogrand et conservent pourtant leur propre identité. La photographe pose son regard émerveillé et vagabond sur cette Verwunderte Wirklichkeit (Astonished Reality, titre d’un livre de Bergemann de 1992.)
Avec les voyages lointains des années 1990 et les nouvelles commandes, la couleur entre dans l’œuvre de Bergemann comme un élément fondateur. En Afrique de l’Ouest et aux confins de l’Europe de l’Ouest, au Portugal, la photographe a exploré le toucher et la forme des couleurs locales pour finalement en faire un élément constitutif de sa photographie de mode. Des contrastes forts étaient aussi cruciaux que des échelles de couleurs finement graduées, qui transmettaient toutes deux avec sensibilité le génie de chaque lieu.
Caroline Forster
Sibylle Bergemann : Sheroes of Photography
24 juin – 9 septembre 2022
Kicken Berlin
Kaiserdamm 118
D-14057 Berlin, Germany
