KAZAL est un projet photographique qui retrace de manière inédite les mémoires de la dictature de François Duvalier en Haïti à travers l’histoire de Kazal, un bourg au Nord de Port-au-Prince, où un évènement majeur de l’histoire contemporaine du pays fut perpétré en mars 1969 et évacué de l’histoire officielle : le massacre de Kazal.
Nous sommes six photographes, tous issus de la première génération post-Duvalier. Au cours de trois années, nous avons tissé un dialogue avec les habitants de Kazal pour interroger leurs mémoires des lieux et des évènements. Pour nous, ce fut une véritable rencontre avec l’histoire et le passé trouble d’Haïti qui, à ce jour, n’a pas encore été assumé ; il s’est agi aussi d’un parcours personnel long et complexe, où nous avons dû ruser avec des barrières sociales, culturelles et géographiques : nous, citadins de la capitale à la rencontre des Kazalais, la plupart d’entre eux, cultivateurs de la terre.
Au printemps 1969, des militaires et miliciens du régime écrasèrent dans le sang un soulèvement de paysans mécontents de payer les taxes abusives que leur imposait le pouvoir et de subir l’interdiction d’utiliser l’eau de la rivière qui sillonne leur propre village. Après quelques semaines d’hostilité, entre le 27 mars et le 16 avril 1969, on dénombra au moins 23 paysans morts, 80 disparus et 82 maisons incendiées.
Nous ne saurons jamais réellement combien de gens sont morts, combien de femmes ont été violées. Seules de rares traces matérielles et quelques témoins de cette histoire ont pu résister au délabrement et au temps. Pourtant l’émotion monte à la gorge lorsque l’on visite ces lieux, fixe ces visages jusqu’alors inconnus, lorsque l’on écoute ces voix oubliées des livres d’histoire, des tribunaux et des archives du pays. Dans un pays où l’Histoire nous glisse entre les mains, où la mémoire s’effrite, leur parole se donne, s’envole, incomprise.
En tant que médium, la photographie est une des formes possibles de mise en récit de la mémoire. En même temps, en tant que témoignage du passé, la photographie est un contenu et peut être source de connaissance historique ; elle réactive la mémoire d’un fait historique et invite à sa réflexion. Elle reste cependant un témoignage fragmentaire, partiel, subjectif, polysémique : une photographie nous apprend sur un sujet photographié autant que sur son photographe ; elle demeure une interprétation de la réalité qui ne se laisse jamais complètement saisir.
Aujourd’hui, le projet Kazal est à la fois un livre, une exposition itinérante et un long-format web qui souhaite éclairer les enjeux mémoriels de la dictature. Comme l’un des témoins de l’événement le rappelle : « La vie est un retour continuel ».
Auteur(e)s images : Edine Célestin, Fabienne Douce, Réginald Louissaint, Moïse Pierre, Georges Harry Rouzier, Mackenson Saint-Félix.
Accompagnés des textes de : Edwidge Danticat, Claudia Girola.
Direction artistique : Nicola Lo Calzo
Direction du projet : Maude Malengrez
Production : FOKAL / K2D
Le livre, édité aux éditions André Frère en trois langues Français, Anglais et Créole, paraît le 26 mars 2019.