par Thierry Maindrault
Changement de décors, si je peux me permettre, pour ce troisième et dernier volet du triptyque consacré à Jürgen Schadeberg. Nous nous retrouvons de l’autre coté de cette barrière toute aussi imaginaire qu’elle fût insupportable. Cet homme et ses convictions personnelles avaient choisi leur camp, le photographe n’avait pas de camp. Comme il a su s’intégrer et restituer la vie qui se poursuivait dans des conditions hors de l’entendement dans les townships sous apartheid. Il su nous rendre témoins d’une vie quotidienne guère plus facile du côté des privilèges civiques.
Rappelons nous qu’une très grande partie de la population «dite blanche» de l’Afrique du Sud était constituée par une immigration massive venue d’Europe à la fin de la seconde guerre mondiale. Lors de la grande crise économique de l’après-guerre un grand nombre d’européens des deux camps se sont exilés dans ce qui était annoncé comme un el dorado.
Cette population, assez éloignée de l’aristocratie familiale ancrée sur ces terres africaines, considérait les schémas ségrégationnistes des sociétés occidentales du milieu du XXème siècle comme parfaitement normaux. Les anachronismes de l’apartheid étaient considérés comme légitimes, souvenez vous qu’en France les femmes n’ont pu accéder aux bureaux de vote qu’après la guerre.
C’est dans cette ambiance que notre jeune Jürgen, lui même fraîchement immigré va également figer les acteurs de cette autre histoire.
Toujours dans sa recherche de transmissions authentiques, le photographe va changer son fusil d’épaule. Il observe que tous ces personnages sont enfermés dans leur propre monde qu’ils se sont créés, un monde un peu artificiel où il faut un peu paraître pour être reconnu. Dans ce monde là, il faut être plus ou moins en représentation. Jürgen l’a très bien compris, inutile d’utiliser l’appareil invisible, il peut être présent, le photographe est là profitons de cette belle occasion. Les postures, les regards s’adressent directement à l’objectif. Il reste au photographe le soin d’appuyer juste au bon moment sur le bouton ce qui n’est pas des plus facile dans de telles conditions.
Il n’y a plus d’images volées qui emportent sentiments et pudeurs. Ces photographies là nous emmènent dans des spectacles guères réjouissants même si les sourires se doivent parfois être de mise. Quel talent exceptionnel pour nous transporter d’un univers à un autre sans modifier la finalité de la démarche mais avec des choix de formes assumés pour le but recherché.
C’est réussi, car ce dernier espace d’apparence plus enviable socialement laisse à travers les photographies de Jürgen Schadeberg le goût indéfinissable de cette époque. Quel précieux cadeau cela sera pour les historiens !
Bonne Espérance Gallery à Paris
Tous les tirages, réalisés par Jürgen, de ces très belles photographies sont visibles à Paris jusqu’à la fin du mois de février 2021 dans la galerie.
Nous devons cette découverte grâce aux connaissances de Scott Paul Billy, cet américain qui a passé 25 années de sa vie en Afrique du Sud, avant de venir s’installer, l’année dernière à Paris. C’est dans sa galerie, ouverte il y a un an, qui est dédiée aux œuvres des créateurs locaux que les photographies sont visibles. Cette exposition, la première de cette ampleur en France a été préparée avec Jürgen Schadeberg avant son décès. Les choix des œuvres et de la période retenue a été judicieux pour découvrir les qualités de ce photographe.
Si vous passez à proximité de Bonne Nouvelle, je vous invite faire un détour pour Bonne Espérance et méditer quelques instants devant les originaux.
Bonne Espérance Gallery
3 rue Notre Dame de Bonne Nouvelle
75002 PARIS
+33 6 30 11 54 67
exposition jusqu’à la fin février 2021