par Thierry Maindrault
Il y a tellement à dire sur l’ensemble des œuvres de ce touche à tout de Jürgen Schadeberg. Ses nombreux bureaux-studios-laboratoires successifs qui lui servaient accessoirement de domicile changeaient constamment de place au gré des projets successifs qu’il prenait à bras le corps. C’est ainsi qu’il passât quelques courtes années à Londres, dans le Sud de la France, à Berlin et en Espagne. Le tout avec une frénésie totale de travail où il enchaînait les projets photographiques, les expositions, les livres, les films, etc.
L’homme était discret mais en aucun cas timide, comme son épouse le raconte fort bien, le domicile, ou plutôt le siège des activités, ressemblait davantage à un hall de gare à l’activité constante et pleine de personnes.
Je vous remets dans le contexte pour vous emmener dans les «townships» de l’apartheid sud africain. Pour comprendre comment le Jürgen reporter photographe a pu entrer dans ces milieux, s’intégrer, s’effacer (en apparence), témoigner et diffuser dans le Monde entier. Une vraie performance de Grand Reporter. Rien de provocant, rien d’extraordinaire, rien d’exagéré dans les images qui s’étalent sous vos yeux. Juste l’impossible rendu possible, juste l’invisible rendu visible, juste l’inacceptable qui s’invite dans votre conscience.
J’ai envie de vous exposer cette superbe maîtrise des techniques photographiques que tous les grands passionnés de l’image documentaire partagent et affinent à chaque nouveau projet. Regardez bien chacune des photographies, vous êtes dans la scène, dans le sujet, dans l’histoire, le photographe est tellement discret qu’il est devenu invisible et finalement suprême malice l’appareil se promène tout seul. Comment ce sorcier a-t-il fait pour entraîner notre imagination et nos ressentis dans ce milieu si fermé et si impénétrable des reclus de l’apartheid ?
J’ai pas tout à fait terminé avec ces photographies là de Jürgen Schadeberg. Car si son appareil de prise de vues semble se déplacer tout seul dans l’esprit de cette communauté noire brimée, il ne faut pas s’égarer. Les compositions, les cadrages, les jeux de tonalité, les nettetés sont totalement maîtrisés. Le photographe assurait personnellement les tirages ce qui ne peut échapper à l’œil aguerri des rats de laboratoires photographiques. Ce n’est pas un tireur très talentueux qui met en valeur le reporter photographe, c’est bien Jürgen qui fait Jürgen Schadeberg.
Pour les messages, les cris, les émotions, les dignités, les joies et les peines, les souffrances et les espoirs, je laisse à chacun selon sa propre sensibilité apprécier ou négliger les œuvres de témoignage qui nous sont laissées.
Prenons soin de cet héritage d’un lieu, d’une époque, d’une idée, … un héritage pour les hommes de demain.
Bonne Espérance Gallery
3 rue Notre Dame de Bonne Nouvelle
75002 PARIS
exposition jusqu’à la fin février 2021