Il est difficile, à la vue de ces photographies, de savoir si les regards attristés et profonds de ces clowns sont réellement les leurs ou les reflets de celui de Jill Freedman. Nul doute que l’artiste américaine, dont l’œuvre reste quelque peu sous considérée, les a observé avec l’empathie digne des plus grands photographes. Même si l’image de cette figure du cirque oscille toujours entre tragique et comique, une atmosphère bouleversante se dégage de toutes ces images, comme si l’envers du décor de ce fabuleux spectacle renfermait de dramatiques histoires humaines.
En 1971, à bord d’un mythique combi blanc Volkswagen, Jill Freedman se joint au Clyde Beatty-Cole Brother Circus pour un voyage de deux mois à travers l’Est des Etats-Unis. Durant ces semaines de vie commune avec la troupe, elle photographie leurs représentations cinq fois par semaine, à raison de deux fois par jour, sauf le dimanche où elle officie une seule fois. Surtout, elle s’immisce dans l’intimité de ces comédiens, acrobates ou dresseurs et documente leur quotidien, les coulisses du show, l’avant, l’après, les moments de détente et d’interrogation.
Parmi ses clichés de vie s’est ingérée celle, également, des animaux de la ménagerie. Les lions bien sûr, immortalisés dans leurs cages étroites, ou bien larges lorsqu’ils participent aux répétitions sous le chapiteau ; mais plus particulièrement les éléphants, pour lesquels Jill Freedman s’est prise de passion. Ils apparaissent avec humour, comme dans cette scène où l’un de ces pachydermes pousse avec son front la cage à roulettes d’un fauve ; ou cette seconde, où la photographe croit immortaliser deux hommes sous une tente avant qu’une large tête vienne la défier du regard à travers les tissus. Manifestement pas impressionnée, Jill Freedman s’est également approchée très près d’eux, dans les boxes ou les camions, créant ainsi une série de photographies assez différentes des autres, jouant avec la texture de leur corps, les quadrillages et lignes formées par leur épaisse peau. Des plans serrés jusqu’à leur postérieur.
De ce beau et intriguant travail documentaire, publié en 1975 dans un livre aussi intitulé Circus Days, on retiendra qu’il fait bizarrement aujourd’hui l’objet de sa première exposition new-yorkaise chez Higher Pictures. Mais les grandes œuvres sont intemporelles lorsque, comme ici, s’entremêle photographie et poésie.
Jonas Cuénin
Jill Freedman, Circus Days
Jusqu’au 9 mars 2013
Higher Pictures
980 Madison Avenue
New York, NY 10075
USA
212.249.6100