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Jérôme Pauchant et la rue Notre Dame de Nazareth

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Chaque semaine, partons à la rencontre de cette nouvelle génération d’acteurs qui se saisissent des images dans leur quotidien, galeristes mais aussi éditeurs, art advisors, directeurs d’institutions ou de foires, collectionneurs… Ils anticipent les mutations du marché et redessinent les contours de leur champ d’action. Qui sont ces « native digitals » et comment nous décryptent-ils l’avenir ? Aujourd’hui, autre acteur du Haut Marais qui incarne esprit d’entreprise et renouveau du métier de galeriste, Jérôme Pauchant.

Quel a été votre premier choc esthétique ?

Sans doute Guernica et certaines œuvres de Velazquez et de Le Greco lors d’un voyage scolaire en Espagne mais le premier vrai grand choc artistique a été ma rencontre avec l’oeuvre de James Turrell lors de son exposition à la Fondation Electra en 2000. J’ai été vraiment fasciné par sa manière de sculpter la lumière, pourtant  immatérielle par définition, et totalement fasciné par la beauté et la poésie de sa démarche et de ses installations.

Aujourd’hui les artistes se saisissent de plusieurs médiums faisant évoluer le territoire des images, en quoi cela affecte-t-il notre regard ?

L’origine de cette utilisation des images sur tous supports confondus par les artistes remonte à cette omniprésence au quotidien, autant à travers la publicité qu’à travers le graphisme, et surtout aujourd’hui à travers nos téléphones portables qui sont devenus très intrusifs tout en étant une source de recherche et d’inspiration, entretenant un rapport d’immédiateté de l’envie. Ce glissement de techniques et de supports par les artistes nous affecte car il nous aide à essayer d’éviter et relativiser tout ce culte des images en nous procurant la distance nécessaire pour questionner ce déferlement. D’une certaine façon, ils tentent de nous mettre en garde sur ce que les images peuvent signifier vraiment…

Comment êtes-vous venu à l’idée de lancer votre propre galerie et quelle en serait la ligne ? Même si à présent nombreux sont ceux qui s’en détachent.

Tout simplement par passion. J’ai vraiment compris au fil de mes expériences professionnelles passées dans le milieu de l’art que j’étais passionné par l’essence de la création, l’échange, les conversations enrichissantes avec les artistes et avec les collectionneurs, les critiques d’art et les autres passionnés de cette discipline. J’ai choisi d’ouvrir ma galerie pour essayer de défendre les artistes que je trouve pertinents et à travers eux sans doute une certaine vision de la société car je suis persuadé qu’ils sont indispensables pour la faire évoluer.

Etant très ouvert et tenant à le rester, il m’est difficile de parler de ligne directrice. Je suis simplement avant tout soucieux de présenter les instigateurs d’une œuvre qui fait sens, qui soit l’héritière d’un passé transcendé tout autant qu’une réaction à la société au sein de laquelle elle émerge.

En quoi la scène anglo-saxonne qui est très présente dans vos expositions est-elle à l’avant garde de ces questions d’évolution des pratiques et des supports de l’image ?

Elle est à l’avant-garde comme le sont certains français ou européens également, sans doute parce que c’est une société différente construite autour de la notion de libéralisme absolu avec moins de carcans, moins de limites entre les genres, moins de catégories. Ce que j’apprécie chez les jeunes artistes de cette scène, c’est la légèreté et l’insouciance avec lesquelles ils peuvent manier tous les courants artistiques historiques, tout en ayant une certaine irrévérence dans leur proposition et dans leur capacité à dépasser tous ces courants. C’est dans cette spontanéité que je trouve beaucoup d’énergie et d’intérêt. Notre monde a évolué et s’est d’une certaine manière uniformisé et globalisé sur ce modèle. J’ai grandi comme ma génération et celles qui suivent à travers ce modèle anglo-saxon/américain fantasmé, il est donc naturel que les artistes qui le questionnent à travers leurs propositions m’intéressent.

Souvent vous proposez des duos dans vos expositions curatées, pourquoi ?

J’ai la volonté d’essayer de montrer des choses qui puissent être étudiées et appréhendées de manière assez complète, c’est pour cela que je me tourne souvent vers des expositions personnelles ou des expositions en duo, comme c’était le cas actuellement avec « A moveable feast » autour de Steven Cox et Bas van den Hurk. L’idée de cette exposition est née de la résidence cet été de Steven à Tilburg qui est aussi la ville où réside Bas. Ils ont eu le temps de se connaître et d’échanger autour de leurs pratiques et questionnements pour nous livrer ce flux de pensées mouvant où les objets flottent dans un espace-temps qui leur est propre. Steven Cox était déjà intervenu l’année dernière comme curateur pour l’exposition « Altered States »qui incluait trois artistes new-yorkais (Graham Collins, Evan Robarts et Ryan Wallace), un artiste danois (Jan S Hansen) et un artiste canadien (Niall McClelland).

Revenons sur « Altered States » et sur ces questions de l’image et de ses déplacements.

L’artiste danois Jan S Hansen, tout particulièrement, utilise un procédé ancien de photographie, le cyanotype sur des toiles qu’il expose à la lumière naturelle. En résulte alors uniquement le processus de révélation des images d’intempéries mais aussi de végétaux qu’il a pu poser sur le support. Il s’amuse à jouer avec le regardeur en choisissant des végétaux qui ressemblent à des palmiers qui déplacent géographiquement l’origine de la création de cette oeuvre et qui font référence aussi aux arts décoratifs dans l’histoire de l’art. Ce retour à une matérialité de l’image est l’une des grandes tendances actuelles face à l’omniprésence du numérique. Un autre artiste new-yorkais, Graham Collins, se plait aussi à détourner les images. Il fragmente des peintures figuratives trouvées ou chinées dans des brocantes et les déplace pour les re-sculpter. La peinture devient sculpture, l’image en est totalement modifiée. L’artiste devient à la fois sculpteur, photographe, peintre. Il pose bien sûr également la question de la paternité de l’oeuvre, de l’auteur.

Matt Jones, artiste new-yorkais que vous représentez, utilise son smartphone comme un outil à part entière, un phénomène nouveau.

En effet, il se nourrit notamment d’images d’œuvres historiques. Il arpente comme beaucoup aujourd’hui les musées avec son téléphone portable pour saisir un grand nombre d’œuvres qu’il cite et déforme ensuite en les saturant et en les redessinant au crayon ou à l’aquarelle. Le smartphone devient un premier outil de capture d’une image qu’il va transférer ensuite sur un autre support. Il considère ces images comme des artefacts d’images sources pour lui ou pour les spectateurs. Il fait aussi par exemple des captures d’écran de jeux vidéos qui traitent de la notion du paysage, du portrait, de la notion de la citation et d’empreinte mémorielle. Dans cette même démarche, il a réalisé une série des ces œuvres qu’il appelle les Enchantment drawings, spécialement pour l’hôtel Les Bains pour lequel j’ai réalisé un commissariat artistique récemment, à partir de photos de paparazzi prises aux Bains Douches dans les années 80, Iman and Bowie, Ian Curtis, Iggy Pop, Boys Boy George et Jean Paul Gaultier.. Ces images issues du réel deviennent elles-mêmes des icônes..!

Deux électrons libres Kevin Rouillard et Loup Sarion parmi les autres très jeunes artistes avec qui la galerie collabore souvent, s’inscrivent aussi dans ces enjeux et territoires de l’hybridation.

Kevin Rouillard lui aussi procède un peu comme un archéologue contemporain qui puise dans ses archives, sur internet ou en chinant des images et des objets qu’il détourne ou déplace ensuite. Il a notamment utilisé des images de Bande Dessinée qu’il évide pour concentrer le regard par exemple sur leur dimension architecturale, historique ou documentaire et les transpose dans de grandes installations murales qui questionnent la notion d’accrochage.

Loup Sarion également diplômé des Beaux Arts de Paris utilise parfois des fragments d’images évocateurs de la faculté d’addiction qu’elles exercent sur nous et de cette mode de la recherche du bien-être ambiant, cette recherche de plaisir de l’image, sa séduction immédiate et profonde, subliminale. Il a notamment fait de grands drapeaux à partir d’extraits d’images de sodas avec des bulles, des couleurs très acidulées, sensuelles et à la limite du mauvais goût. L’image se transforme, devient encore motif, questionne la peinture, la sculpture et se déplace dans les ressorts inhérents de notre inconscient.

Quels sont les enjeux de votre exposition collective actuelle « Il suffit d’un grand morceau de ciel » par rapport à ces nouvelles esthétiques de l’image ?

Les travaux des cinq jeunes artiste émergents que j’ai réunis pour cette exposition questionnent tous la notion de paysage, de contemplation et de ses rapports à la méditation ou même à l’hypnose à travers différents supports, peinture, sculpture et vidéo.
En fait, seule la jeune artiste Lauryn Youden utilise des images à proprement parler dans sa vidéo Pink beach; des images animées et déformées de couchers de soleil paradisiaques en bord de mer. Les lignes d’horizons et les ressacs se croisent, se superposent et ondulent jusqu’aux bords de l’image qui en devient presque hypnotique.
Les autres artistes convoquent uniquement des images mémorielles de l’ordre du paysage.
Terencio Gonzalez colle et compose ses peintures avec des fonds d’affiches aux couleurs vives et dégradées collectées en Argentine produisant des variations vibrantes et lumineuses. Un Rothko contemporain aux matériaux bon marché qui par l’éblouissement laisse advenir des les souvenirs des environnements qu’il a fréquentés, paysage physique et mental dans lequel le spectateur se projette.
Lyes Hammadouche créé des sculptures qui ont l’apparence de machines archaïques générants des paysages au pouvoir méditatif voir hypnotique. Le cercle composé de sable et d’eau enfermés entre deux plaques de verre de l’oeuvre 60x60x24 tourne lentement sur lui-même faisant évoluer son propre paysage de manière presque imperceptible, la topographie sculptée à la fraiseuse numérique de l’oeuvre Lit-logique semble pouvoir être entrainée par son négatif cylindrique tout comme la grande sculpture Tectonique du ciel aux allures de machines médiévales qui développe cette idée de l’interconnexion entre la terre et le ciel jusqu’à la forme de sa structure même évoquant l’idéogramme de l’être humain. Ces oeuvres complexes nous inscrivent dans une temporalité étendue en nous poussant à une observation accrue qui devient presque hypnotique. Un questionnement des cycles sociaux, humains, jusqu’aux rythmes de la vie du sommeil et de l’inconscient…
Evan Gruzis quant à lui explore à travers ses peintures les aspects psychologiques et spirituels de la culture visuelle de la côte ouest américaine des années 80. Combinant teinture pour textile et acrylique, il manie la lumière, la fluidité des matériaux et et l’artificialité des couleurs pour activer un espace psychologique dont le cadre ouvre une fenêtre sur la méditation. Nathaniel Rackowe créé des sculptures lumineuses uniquement avec des matériaux de construction qui évoquent l’architecture urbaine comme révélée par la lumière.

EXPOSITION
Il suffit d’un grand morceau de ciel
Du 25 mars au 21 mai 2016
Galerie Jérôme Pauchant
61 Rue Notre Dame de Nazareth
75003 Paris
France
https://www.facebook.com/galeriejpauchant/

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