Après un livre remarqué sur son travail aux Etats-Unis couvrant 50 ans d’histoire, le photographe documentaire Jean-Pierre Laffont publie ses photos de New York, dont il est un résident depuis 1965.
Ce fut le coup de foudre immédiat. Je me souviens exactement du moment et de l’endroit où cela s’est produit : en décembre 1965, sur la 6ème Avenue et la 55ème rue. Les immeubles de métal et de verre brillaient à la lumière du soleil. Je n’avais jamais vu de gratte-ciels auparavant, je les trouvais éblouissants, provocants, démesurés. J’ai tout de suite su que j’étais faite pour vivre à New York et que j’avais trouvé l’endroit où j’allais passer le reste de ma vie. Quelqu’un a un jour dit : « New York n’est pas une ville, c’est un monde ». New York allait devenir mon monde.
Les années soixante furent un tournant majeur à la fois pour New York et aussi pour Jean-Pierre et moi. Nous étions jeunes et imprégnés de cette liberté qui symbolisait l’époque. Rien ne nous semblait impossible. Nous avons ouvert le bureau américain de l’agence de presse Gamma et j’accompagnais J.P. dans ses reportages. J’ai tout appris sur la ville en le regardant travailler et ses photos m’ont aidée à voir New York et à l’aimer. À l’époque, New York était une ville sale et dangereuse, la pornographie était partout dans la 42ème rue et le métro plein de violence. Le mouvement hippie était en plein essor et les drogues de toute sorte se vendaient presque ouvertement dans les rues.
Oui, c’était une ville « qui ne dort jamais », avec un métro qui marche jour et nuit, des magasins toujours ouverts, des buildings éclairés en permanence et des rues encombrées, avec des coins dangereux et avec le bruit infernal des voitures de police, des ambulances, des pompiers, des climatiseurs et l’habituel et assourdissant trafic des bus et des camions délabrés.
Oui, il y avait des mendiants dans la rue, des sans-abris dans les parcs et des alcooliques sous les porches des élégantes boutiques de Madison Avenue
Oui, New York n’est pas pour les cœurs tendres mais comme tous les New-Yorkais, nous nous sommes adaptés.
Vous n’étiez personne si vous n’étiez pas passés par New York. Charlie Chaplin y revint après 15 ans d’exil et Philippe Starck redessina les hôtels historiques du Paramount et du Royalton. Les Rolling Stones jouèrent sur un camion en descendant la 5ème Avenue. Brigitte Bardot, célèbre pour avoir mis à la mode la ville de Saint-Tropez et le bikini, arriva à New York avec Jeanne Moreau. Charles Aznavour, Gilbert Bécaud et Enrico Macias chantèrent au Carnegie Hall, la Mecque des musiques classiques et populaires. New York devint la nouvelle capitale des arts. Le Pop Art explosa. Les « Nouveaux Réalistes », Arman, Martial et France Raysse, arrivèrent de Nice pour travailler avec Andy Warhol. Les personnalités glamour de la musique, de la mode et du cinéma se mélangeaient à son entourage super excentrique.
Tout cela était très, très underground. Nous sommes tous devenus amis et allions au « Max’s Kansas City » manger des hamburgers, danser au Studio 54 jusqu’au petit matin. J’ai même chanté « Macho Macho Man » et « Y.M.C.A » avec les Village People… Mais ce que j’aimais par-dessus tout, c’était emmener nos amis découvrir mon New York : le pont de Brooklyn pendant la nuit, le Grand Central Terminal avec son style Beaux-Arts, le toit Art Déco du Chrysler. L’Empire State Building était sans aucun doute le point culminant de la visite et Jean-Pierre les photographiait sur les toits.
Bien sûr, je ne suis pas tout le temps folle amoureuse de New York. Je l’ai détestée quand le coût d’entretien de notre immeuble a considérablement augmenté, quand j’ai vu des rats sur les rails de la ligne 1 du métro, quand mon « diner » favori fut remplacé par une boutique Gap, quand l’ancien quartier des abattoirs, le Meatpacking District, contrôlé par la Mafia devint l’endroit à la mode, j’ai été écœurée quand les artistes de SoHo furent obligés de quitter leurs “lofts“ rachetés par des riches avocats et des courtiers de Wall Street. Je n’ai pas supporté quand Stéphanie m’a dit qu’elle allait peut-être quitter New York pour le New Jersey parce que les frais de scolarité pour nos deux petites-filles étaient trop élevés à Manhattan. J’ai pleuré quand John Lennon a été assassiné à trois blocs de chez nous, j’ai été terrifiée par les ravages causés par le SIDA et le crack, et j’ai été dévastée par les attaques du 11 septembre.
J’ai entendu un jour cette blague à la radio : On demanda à Bob Hope « Quand allez-vous venir jouer à New York ? », il répondit : « Quand la ville sera terminée ». Cela m’a fait beaucoup rire. C’est tout à fait cela, New York ne sera jamais terminée. New York est toujours dans un perpétuel état de démolition, de reconstruction, de déclin et de redressement. Des buildings de plus en plus hauts continueront de transformer la ligne d’horizon de la ville. L’Empire State Building, s’il reste mon préféré, n’est certainement pas ni le plus grand, ni le plus surprenant aujourd’hui.
New York est drôle mais elle peut aussi faire pleurer. Elle est organisée et chaotique, sophistiquée et brute, attirante et repoussante, bruyante et étrangement silencieuse, cruelle et délicate, souvent sale et trop propre par endroits. On l’aime un jour et on la déteste un autre. C’est une ville qui change en permanence et pourtant demeure la même. Elle peut être belle à couper le souffle et pourtant la laideur est dans tous les coins. Tout est up et down, et down et up.
Mais, voyez-vous, je l’accepte comme elle est car je l’aime à la folie.
Eliane Laffont
Eliane Laffont est l’ancienne directrice du bureau américain de Gamma, qu’elle a fondé en 1968 avec Jean-Pierre Laffont, et l’ancienne directrice d’une autre célèbre agence, Sygma, qu’elle a dirigée à partir de 1973 et durant près de trente ans.
Jean-Pierre Laffont, New York Up and Down
Publié par Glitterati
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