« Vous ne voulez pas m’acheter un livre ? Aujourd’hui je fais 30% «
Jean Pierre B tient une librairie dans le 6e non loin de chez moi.
Depuis deux ans, son magasin est presque toujours fermé. De temps en temps, plutôt en fin de journée, sa boutique est ouverte, mais cela ne doit pas dépasser deux à trois fois le mois, voire moins.
Hier en rentrant je l’ai trouvé assis sur le seuil, on ne peut plus pénétrer à l’intérieur, avec les années il a entassé tellement de livres, que l’espace habitable s’est réduit à celui nécessaire à l’ouverture de la porte et à la place d’un tabouret.
Je me suis arrêté pour le saluer, il m’a demandé si je ne voulais pas lui acheter un livre, ajoutant « aujourd’hui’ je fais 30 % de réduction ».
Devant la vitrine à même le trottoir étaient disposées quelques piles de livres dans un état de vétusté tels que l’on aurait pu croire qu’ils avaient été récupérés dans une cave ou un grenier.
« Regardez là il y a un Flaubert et la pour une petite fille la semaine de Suzette. J’ai aussi des cartes postales » ajouta-t-il en me montrant trois vieilles cartes qui dépassaient de quelques livres défraichis posés sur le sol.
Étonnamment étranger à l‘état d’incurie dans lequel il semblait baigner et au décor qui l’entourait, il continuait d’agir, comme si au fond de son magasin , parmi les rayonnages chargés de livres neufs, il recevait un client.
Je m’adressais à lui « Puis je me permettre de vous proposer 10 euros pour faire votre portrait »
Ma demande ne le dérouta pas.
« Bien, sur ! »
Je lui remis le billet. Il se rassit devant sa porte.
Tout en prenant mes clichés je continuai à lui parler.
« Il est bien encombré votre magasin »
« Avec le covid , je n’ai pas eu le temps de le ranger, mais dès que cette histoire sera finie » .. La phrase s’arrêta là;
Il ajouta « je suis bien ennuyé, vous ne passez pas le soir par ici, vous pourriez me raccompagner chez moi, j’ai une poly arthrite je n’arrive presque plus à marcher »
« Je suis désolé je n’ai qu’ un scooter »
« Ah moi aussi, j’ai eu un scooter »
« Vous savez je suis vieux je suis né en 42, vous avez de la chance de pouvoir conduire votre scooter »
Moi , « Comment vous appelez vous ? »
« Jean-Pierre B, comme la ville de B »
« et vous ? »
« Jean-Michel »
« Ah, ce sont les prénoms de l’époque »
Une passante arrivait,
« Madame vous ne voulez pas m’acheter un livre, aujourd’hui je fais 30% »
Jean-Michel Daumen
