Les premières pensées lorsque l’on évoque les Comores se résument généralement à « 4 cailloux perdus dans l’Océan Indien », indépendance non acceptée », « intérêts stratégiques et militaires », « manipulation du droit à l’autodétermination », « propagande coloniale », « colonie », « Mayotte, 101e département français[1]« , « Bob Denard », « 18 coups d’État en 22 ans », « France-Afrique » ou à « flux migratoire ». Il est vrai qu’il y a plus de Comoriens vivant à Marseille qu’à Moroni, capitale de l’archipel. Mais on ne peut réduire une nation à quelques faits, si graves et lourds d’importance soient-ils.
J’avais envie de comprendre et d’arriver à dépeindre le foisonnement culturel qui baigne les Comores d’aujourd’hui. Une société aux traditions fortes, séculaires, mais hélas peu connue.
Peu connues, ces îles le sont précisément. Il est vrai qu’entre les deux géants qui l’encadrent, Madagascar l’île continent à l’Est, et l’immense Afrique, à l’Ouest, elles paraissent comme 4 galets perdus tout en haut du Canal de Mozambique, mais disposés comme autant de ponts entre les cultures nègres, arabes asiatiques dont c’est ici le point de rencontre.
On se plaît toujours à souligner l’identité propre à chaque île ; on oublie parfois de rappeler que l’histoire et les flux migratoires qu’elles ont connus les lient dans une profonde et authentique unité surtout de peuplement.
Leurs premiers habitants sont des Bantous et des Malgaches rejoints par des Arabo-Chiraziens qui semèrent les germes d’un islam tolérant qui a profondément pris racine. La synthèse culturelle ainsi créée s’est enrichie ces dernières décennies de la présence européenne qui tend à dominer dans les centres urbains.
Mais c’est bien à partir de son Histoire et de ses mélanges que naîtra, il y a plusieurs siècles, le Grand mariage comorien appelé « Anda ». Jusqu’à ce jour, l’institution qu’est le Grand mariage va régir l’ensemble de la société en établissant un système de classes.
Parvenir à réaliser son grand mariage offre le privilège d’être un « Mdrou mdzima ». Cette position honorifique permet de devenir un membre important et influent dans sa ville, dans son village et dans son quartier. Le grand marié est un notable. Il est écouté en public. Il décide du présent et de l’avenir de la vie sociale. Il est le garant de la tradition.
Il a des privilèges que personne ne peut avoir comme le droit à la parole en public, de porter des habits d’apparats comme le djoho (long manteau brodé de fil d’or), la canne sculptée… d’ouvrir les danses traditionnelles durant des fêtes collectives, d’avoir son siège réservé sur la place publique et au premier rang dans la mosquée, d’être servi préalablement lors des partages de nourritures, d’argent…
Les résolutions prises par l’assemblée des Grands notables font force de loi. Les grands mariés sont reçus avec respect par les dignitaires politiques. Que l’on soit riche, diplômé ou issu d’une bonne famille, celui qui ne l’a pas effectué n’a pas de pouvoir décisionnel.
L’aspect économique de l’Anda est la raison principale des contestations car il engendre des dépenses ostentatoires, de gaspillage d’argent, entrainant l’endettement, l’appauvrissement, l’immigration…
Parallèlement à cet aspect économique, il y a les valeurs sociétales comme la convivialité, la solidarité, la générosité par le renforcement des liens, la cohérence de la société et l’honneur des familles. Il est le symbole de la richesse partagée, de la générosité exprimée dans l’idéal du devenir du peuple.
L’Anda représente le poids et la tradition qui pèsent sur chaque famille comorienne. Il est un but ultime. Il est le vecteur principal du déplacement d’une amplement franche de la population dans sa quête d’une économie permettant d’y arriver, d’y accéder et de le réaliser avec fastes, malgré les lourds sacrifices consentis.
Sa célébration est le labeur d’une vie, le prix élevé du privilège.
Jean-Marc « MM » De Coninck
[1] Le 29 mars 2009, après le 3e référendum et sous la présidence de Nicolas Sarkosi, l’île de Mayotte est déclarée 101e département français; ceci contre l’avis défavorable de l’Etat comorien, des condamnations des Nations Unies, de l’Organisation de l’Union des Pays Africains et de la Ligue des Pays Arabes. Plusieurs résolutions des Nations unies condamnent la France qui brandit à chaque fois son droit de véto.