Jean Larivière fut l’un des photographes français les plus flamboyants des années 70, 80 et 90. Cette époque où l’argent coulait à flots et où la réponse à chaque idée saugrenue et demande exubérante était : Pourquoi pas ?
Et puis, il disparut. Il revient aujourd’hui avec l’aide de Gabriel Bauret. A priori, c’est une petite exposition, ne vous y fiez pas. C’est un teaser pervers destiné à vous donner envie d’aller chez lui voir les hallucinantes installations qu’il prépare ! Jouez le jeu, vous ne serez pas déçu. – Jean-Jacques Naudet
Préfiguration
Cela fait maintenant une quinzaine d’années que Jean Larivière n’avait pas donné signe de vie. On se souvient de ses brillants travaux pour la publicité et la mode, en particulier son étroite collaboration avec le bagagiste de renom Louis Vuitton. Celle-ci était portée par une très personnelle et ambitieuse déclinaison du thème du voyage, aux limites du possible, et s’appuyant sur une grande complicité avec la direction de la marque. Dans le contexte de la photographie de commande, Jean Larivière s’est imposé comme l’auteur d’aventures visuelles sans cesse renouvelées, évoluant en marge des propos habituels. On appréciait son sens de la mise en scène, ses compositions exigeantes, sa maîtrise des lumières et du noir et blanc.
S’il ne faisait plus parler de lui, il n’a pas pour autant arrêté de travailler, de chercher et produire silencieusement, obstinément, dans son étonnant studio-atelier de la rue Popincourt à Paris. Un espace « habité » par toutes sortes de collections d’objets, plus insolites et inattendus les uns que les autres, et qui révèlent l’enfant qu’il n’a jamais cessé d’être ainsi que son goût immodéré pour des voyages exploratoires, que ce soit sur terre ou sur mer, ou encore dans le ciel. Un univers à l’image de l’esprit original qui anime ses créations.
Il revient aujourd’hui en quelque sorte à pas feutrés, dans une galerie du quartier Saint-Germain, avec évidemment l’envie de faire savoir qu’il est toujours là, remettant en lumière quelques pièces majeures de ses productions passées. Mais cet accrochage préfigure aussi, avec notamment un diptyque rendant hommage à Andrée Putman, ce qu’il envisage de déployer plus largement dans le futur. Pour l’heure, il montre des œuvres qui s’imposent d’emblée par leur très grand format, et cette dimension se retrouve dans tout ce qu’il réalise actuellement. Quant au principe du diptyque, il fait écho à ses recherches dans lesquelles la photographie compose chaque fois avec un autre médium : dessin, vidéo, son … Propositions dont certains motifs sont inspirés par des fragments d’autobiographie, notamment liés à son enfance. La photographie est toujours présente dans sa démarche, y compris dans ses inventions les plus sophistiquées, comme une malle à multiples tiroirs qui dresse le « portrait » du vent capté en différents endroits du globe. Un peu à la manière d’un Marcel Duchamp qui avait en son temps enfermé dans une ampoule de verre l’Air de Paris.
Jean Larivière aime à parler de portrait, même lorsque c’est un objet qu’il photographie ; en apparence inanimé, mais en apparence seulement. Car l’objet, dans chacune de ses réalisations, est mêlé à de la vie, à de la pensée. Et si l’acte de création est pour lui quelque chose d’extrêmement sérieux et profond, il n’est jamais vraiment détaché d’une forme de jeu. C’est cette ambivalence qui caractérise précisément sa personnalité, son parcours et l’œuvre qu’il s’applique à construire.*
Gabriel Bauret, avril 2019
*Jean Larivière prépare un ouvrage d’édition qui réunira l’ensemble de son travail entrepris depuis les années 1960.
A la suite de ses études en 1963, à l’école des Beaux-Arts d’Angers, Jean Larivière commence un travail de recherches sur le mouvement, l’espace et le temps qui le conduit au bout de dix ans à la réalisation d’images cinématiques « Jamais toujours ». Constitué de séquences de photogrammes et de photographies retravaillées au trait, superposées à l’infini par un subtil jeu de calques et refilmées au cinémascope couleur, le film aux accents surréalistes impressionne Matta et révèle le vocabulaire formel qu’il développera par la suite dans ses photographies. Après de nombreuses rencontres dont les plus marquantes restent celles de Chris Marker, Salvador Dali, Roger Vadim ou encore Barney Wilen, il se tourne vers la photographie publicitaire imposant sa technique, son registre formel et iconographique.
En 1978, la Maison Louis Vuitton l’invite à la réalisation d’un catalogue dont les prises de vues le conduisent de la Guadeloupe au Rajasthan en passant par New York et Montréal. Ces photographies marquent le début d’une longue collaboration avec la marque s’inscrivant au-delà de la commande publicitaire.
« Un peu à cause de son éléphant fétiche – en peluche – et beaucoup à cause de ses photographies, j’ai du mal à imaginer Jean Larivière autrement que comme un grand enfant et comme un magicien.
Enfant, je suis persuadé qu’il a voulu le rester, préservant ainsi des visions et un imaginaire que sa condition – officielle – de « photographe appliqué » aurait bien souvent pu mettre en cause pour le faire rentrer dans le moule de la réclame, fût- elle de luxe et du plus grand chic.
Magicien, il l’est devenu, en peaufinant des « trucs », des savoir-faire dont le moins important n’est pas sa connaissance de la lumière et la finesse de traitement qu’il lui consacre. Je suis, à chaque fois captivé, au sens étymologique du terme, par ses lumières, sa capacité à passer des vibrations des gris aux contrastes, des contre- jours aux dégradés, voire à les faire coexister sur une même image, et ce jusqu’au moindre détail des tirages définitifs.
Du portrait à la mode, de la mise en scène au paysage, de la chronique de voyage à la nature morte, il se moque des genres, les transcende pour nous asséner, avec son évidente douceur, des images qui n’auraient pu exister telles qu’elles sont s’il ne s’agissait pas de photographie.
Le Larivière qui a durant vingt ans proposé une imagerie de rêve pour Louis Vuitton, est également un artiste qui a dialogué avec l’abstraction, qui s’est posé de façon très sérieuse -entre autres autour du portrait- la question de la figuration, qui a exploré les possibilités de la narration, qui a décidé un jour, de façon toujours très sérieuse, de s’inscrire dans une histoire du classicisme photographique en restant à l’écoute des mouvements, recherches, plastiques et graphiques de son temps. »
Christian Caujolle, Extrait du catalogue de l’exposition de Jean Larivière au Musée des Arts Décoratifs de Paris en 2006
Jean Larivière – Portraits et Paysages
Du 12 Avril au 2 Juin 2019
GALERIE PIECE UNIQUE
4 rue Jacques Callot
75006 Paris
PIECE UNIQUE VARIATIONS
26 rue Mazarine
75006 Paris