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Jane Evelyn Atwood : L’Histoire d’une exposition à La Filature de Mulhouse

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Cette exposition a été annulée, reportée ou ne peut être vue que sur rendez-vous : nous avons décidé de vous la montrer ! Le 03 mars dernier ouvrait à La Filature – Scène nationale de Mulhouse l’exposition de Jane Evelyn Atwood « Photographies 1976-2010 ». Pensée avec la commissaire Emmanuelle Walter, l’exposition retrace 35 ans d’une œuvre militante, portant son regard sur l’exclusion, les rejetés, la société périphérique.

Vivant en France depuis 1971, Jane Evelyn Atwood est notamment connue pour sa série sur les prostitués de la rue des Lombards et des ruelles de Pigalle (Histoires de prostitution, 1976-1979), pour l’intimité criante des derniers instants de Jean-Louis (Vivre et mourir du Sida, 1987) ou sa longue documentation des conditions précaires d’incarcération de par le monde dans les prisons pour femmes.

Elle nous raconte ici le montage de son exposition à Mulhouse, quelques jours avant que la ville ne soit l’une des plus touchées en France par l’épidémie de Covid-19.

 

 

« J’arrive à Mulhouse le 25 février, je suis logée dans un grand et confortable hôtel. Tous les matins je prends le petit-déjeuner au milieu d’une petite foule de gens et trois fois je dîne dans la même salle à manger avec toujours beaucoup de monde. À la fin de cette semaine, des cars entiers arrivent avec des gens pour le carnaval. Le jeudi on les voit à la réception, déjà déguisés.

Le lendemain, je vais à la Filature pour défaire les paquets de ma rétrospective, Jane Evelyn Atwood Photographies 1976-2010, arrivés par camion  des jours avant. Je commence à positionner les photos à leur place, sur le sol, dans les différents espaces de la grande galerie. La mise en scène a été déjà organisée par terre chez moi dans mon bureau à Paris, à l’aide du plan de la galerie qu’ Emmanuelle m’avait envoyé.
Marc et Andrej, les deux hommes qui vont faire l’accrochage, sont là dans l’après-midi et nous commençons à travailler ensemble. L’exposition est la même que celle de la MEP en 2011, mais sans les photos Haïti et les mines antipersonnel. Il n’y a pas de place pour tout et j’ai voulu ajouter 36 images de Pigalle People. Parce que j’utilise les mêmes tout petits encadrements des pages de mes carnets de travail qui ont été exposées aux Rencontres de la Photo en Arles, 2018, et ensuite à la Maison de Doisneau en 2019, c’est facile : il y a un long mur en face de la partie Divers où on peut placer deux lignes de Pigalle, les petits cadres tout près les uns des autres.
L’accrochage dure 5 jours.  Il y a 190 photos.  La partie SIDA avec les photos de Jean-Louis est un casse-tête. Pigalle aussi, prend énormément de temps. Mais Mark et Andrej sont formidables, méticuleux, efficaces et très gentils. Au fur et à mesure qu’on accroche, ils regardent les images de près et posent de plus en plus de questions. On parle beaucoup de prison, du SIDA, bien sûr des prostituées – même les aveugles les interrogent.  Ils sont réellement intéressés.
André Benoît, le nouveau Directeur,  vient et regarde de près toute l’exposition. Je le photographie devant l’image de la détenue qui accouche menottée.

L’hôtel se vide le week-end. Le Carnaval est annulé : du jamais vu !
Je passe mon temps à photographier des transgenres qu’Emmanuelle m’a fait rencontrer un an avant.

Lundi, le 2 mars, les citations arrivent de Prevel Signalisation. Laurent et Emmanuelle ont fini les cartels, on les place sur les murs. Je pose tous les objets, dessins et cadeaux que des détenues m’ont offert dans les deux vitrines dans la partie prison, dans la vitrine Jean-Louis, les publications et la lettre de Brigitte, la jeune lycéenne qui raconte comment elle a enfin compris ce qu’est le SIDA grâce à l’article paru dans Paris Match. Je fais le tour de l’exposition avec Dominique, qui, du haut de son échelle, règle toutes les lumières.
Mardi, le 3 mars, ARTE vient de Paris : on passe la matinée ensemble, dans l’exposition, à filmer, être interviewée. J’ai déjà fait pas mal d’interviews pour la presse, ARTE va faire une grande séquence dans les informations du soir.
À midi on déjeune ensemble avec les gens d’ARTE et ceux de la Filature dans leur cantine, où on a mangé souvent dans la semaine. Le reste du temps, c’est dans les petits restos de la ville, où il y a  toujours beaucoup de monde.
Sylvain est arrivé en train dans l’après-midi.

Tout est près pour le vernissage le soir même, le 3 mars. Ça fait chaud au cœur quand Marc et Andrej me disent qu’ils n’ont jamais été si émus par une exposition à la Filature.
Avant le vernissage, on projette le film, Jane Evelyn Atwood, Fragments d’Un Parcours, de Thomas Goupille et Cinq26. La salle est complète – une centaine de personnes.  Au vernissage il y en a  200.  Des trans que j’ai photographiées pendant le week-end sont venues. Le Directeur fait un discours. Tout le monde s’ embrasse chaleureusement. C’est très sympathique.
Le lendemain, le 4 mars, je retourne à La Filature pour faire une vidéo, vite fait, comme je fais souvent quand j’expose – non pas pour montrer aux gens, mais pour moi, pour garder une trace de l’ordre des photos sur les murs d’un bel espace.
Plus tard, quand on quitte l’hôtel pour prendre notre train, il y a des journaux sur la table à la réception. « Regarde », je dis à Sylvain, « je vais faire une photo! » C’était la dernière photo que je fais à Mulhouse.

La Filature est fermée le 10 mars.
Sylvain et moi sommes confinés à Quimper quelques jours avant que Macron ne confine toute la France. À part ceux qui étaient au vernissage, personne n’a vu l’exposition.
Les photos sont toujours là-bas, sur les murs dans le vide, accrochées dans le silence. »

 

 

Jane Evelyn Atwood

le 10 avril, 2020

 

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