Le photographe américain se place là où est la douleur et la mort dans des images à valeur d’icônes. Une large rétrospective présente ces clichés saisissants à la Maison Européenne de la photographie à Paris.
Un charnier dans la benne d’un camion en train d’être déchargé. La scène se passe en Bosnie-Herzégovine au début des années 1990 en pleine guerre des Balkans. James Nachtwey photographie les cadavres en train de tomber de l’arrière du camion alors qu’une main sur le côté gauche de l’image fait signe à l’engin de reculer. On pourrait croire qu’elle est aussi là pour cacher l’horreur, pour se mettre devant l’objectif et gâcher la photographie. Pourtant, prise ainsi par Nachtwey, elle révèle encore plus l’ignominie de la situation : elle donne du vivant dans une atmosphère de mort et elle sépare ceux qui sont encore debout des corps les uns sur les autres en train de se voir jetés en pleine nature.
Au bord de la mort, sans cesse, est le leitmotiv de Nachtwey. Dès le début de l’exposition nous sommes saisis par ses tableaux où l’être humain frôle la faucheuse, sinon est directement sa victime. C’est le cas de ces premières photographies qui montrent des blessés ou des morts en train d’être emmenés par des militaires en Amérique du Sud (Nicaragua, Guatemala…). Les bras allongés des victimes font penser à des descentes de croix. Chez Nachtwey, il y a toujours une composition qui a valeur d’icône.
Famine
La guerre, la mort, mais aussi son lot de souffrances. En Afrique, Nachtwey prend les conséquences des conflits armés et soulève les bâches qui cachent à nos yeux d’occidentaux les images les plus dures. Il y a notamment sa série réalisée sur la famine qui touche la Somalie ou encore le Sud du Soudan dans les années 1990. Des êtres squelettiques rampent sur le sol, la bouche ouverte, morts de faim. Il manque des mots pour décrire l’effroi qui survient devant ces images. « J’essaye de faire en sorte que l’opinion publique soit marquée par mes photographies. Pour moi, c’est le but du photojournalisme : rassembler autour de sujets graves et faire en sorte que chacun ait mieux conscience du monde », confie James Nachtwey. Dans les années 1960 alors qu’il est adolescent il sera marqué par le traitement médiatique de la guerre au Vietnam et découvrira une certaine puissance du photojournalisme à saisir l’opinion publique. « Il faut que les gens qui découvrent mes photographies aient un rapport direct avec les personnages qui sont dessus. Comme dans une rencontre », explique-t-il encore.
Guernica
Mais ce qui est bouleversant dans les photographies de James Nachtwey c’est sa capacité à aller si loin dans ses prises de vues qu’on dirait qu’il a mis en jeu toute son existence. Tel est par exemple le sentiment qui nous vient devant ses images du 11 septembre 2001 au World Trade Center. Le photographe se rue littéralement sur les décombres et capture le visage effondré d’un pompier, la gueule recouverte de cendres. Tel est aussi son incroyable série de 60 photographies consacrées aux blessés de guerre, le « Guernica de la photographie » comme le dit son ami le photographe Alain Mingam. James Natchwey s’est glissé en 2006 parmi une équipe de médecins militaires en Irak qui sont en train de soigner directement sur le billard d’énormes blessures de guerre. La vision de cette frise est pratiquement insoutenable, mais elle déclenche en soi une compassion extrême. Comme le dit le cinéaste Wim Wenders dans son Eloge de James Natchwey : « Le photographe nous rassemble en une seule humanité. Il ne connote pas la condescendance ou la “pitié”, mais une réelle empathie où la souffrance des autres devient également la nôtre ».
« Instinct visuel »
Reste que le photographe a sa méthode qui intrigue et passionne. Comment fait-il pour toujours être au bon endroit au bon moment ? « C’est son secret de fabrication », détaille le co-commissaire de l’exposition Roberto Koch et d’ajouter : « ce qui est sûr, c’est qu’il travaille énormément et qu’il sait choisir. Il porte une attention extrême aux détails. Il a ce que je pourrais appeler “un instinct visuel” ».
Un instinct qui le guide dans des prises de vues d’où émerge toujours un tableau bouleversant. Dans sa récente série consacrée aux migrants exposée dans une salle du musée, il y a toujours des compositions vibrantes. Ainsi de ce père en train de traverser une rivière, sa fille dans les bras, l’air effaré par la route qu’il lui reste à faire et par les dangers qu’ils rencontrent. Ainsi, aussi, de ces migrants qui prient en utilisant des gilets de sauvetage comme tapis sur les rives de Lesbos en Grèce. « Prenez du temps pour regarder ces photographies », conseille James Natchwey, « laissez-vous submerger par la rencontre avec ces personnages ».
Jean-Baptiste Gauvin
Jean-Baptiste Gauvin est un journaliste, auteur et metteur en scène qui vit et travaille à Paris.
James Nachtwey
Du 30 mai au 20 juillet 2018
Maison européenne de la photographie
5/7 Rue de Fourcy
75004 Paris
France
www.mep-fr.org