Il s’appelle Jean-Paul Gavard-Perret. Il est écrivain, critique et surtout passionné de photographie, de photographie érotique plus précisément. Alors régulièrement nous allons publier une de ses chronique. Voici la première !
Plutôt que de rester inféodé à des écoles de pensée Henric a toujours arpenté la pratique de la littérature, du dessin et de la photographie en parfaite liberté. L’auteur s’est, entre autres et à juste titre, méfié des sémiologues qui faisaient passer toute lecture ou regard sur leurs fourches caudines. Fidèle à ceux qui ont gratté le mal (Manet, Faulkner, Céline, Pasolini, Guyotat, Klossowski,) l’écrivain et photographe, dans ses prises, est resté en lutte pour mettre à nu (à tous les sens du terme) des attendus dont il s’est amusé avec son égérie : Catherine Millet.
Jouant de l’ombre et de la lumière, du montré et du caché, il joue de ceux qui font de la femme un objet de terreur et de salut. Il cultive avec elle un jeu qui tente de ne rien laisser dans l’ombre mais tout dans l’ambiguité ludique en accordant dans la photographie une place « differante » (pour parler comme Derrida) afin de se dégager des croyances et des illusions idéologiques et tarauder « la part maudite » et obscure qu’elles cachent.
L’œil arpente un corps libéré du « sale » et du « moche ». La modèle ( et bien plus ) y est pour beaucoup. La mémoire de ses galbes est remplacée par l’intime pulsation de son regard. Henric brade la ressemblance au profit de l’Apparition. Un insaisissable se rapproche dans la succession des prises sous le reflet multiple de la carnation.
Les portraits de Catherine Millet constituent un étrange poème plastique et le relevé d’une histoire d’amour dont le photographe feint de faire profiter le voyeur avec bien sûr l’accord de sa vestale jouant les Messaline. Surgit la narration d’une exhibition jouée mais non feinte.
Il s’agit de montrer plus pour se passer des mots et faire penser que le tour de passe-passe entre les deux protagonistes est anodin en le sortant de la sphère privée. Mais une telle intimité dévoilée n’est qu’un leurre : on le comprend mieux en lisant les textes autobiographiques de Catherine Millet. Ses textes sur l’art aussi. Ils illustrent comment s’organisent la photographie, son ombre.
De plus le pacte photographique n’est pas anodin et il témoigne d’un certain courage : il est rare qu’une personnalité publique et éminente de l’art accepte un tel contrat. Il ouvre un éventail de possibilités et de transfigurations non seulement de l’intimité mais de la « persona » dont le corps est donné en harmoniques dans sa solitude et un certain mutisme. Il parle à la vue en refusant les mots que les deux créateurs manient pourtant à l’envi.
L’effet de voyeurisme est patent : les photographies d’Henric suscitent la levée des fantasmes. Catherine Millet l’accepte, « taisant » toute douleur et faisant peut-être à sa manière ce que « Pauline Réage » fit avec « Histoire d’O ». Toutefois l’égérie va plus loin : elle n’avance pas masquée. Et si la beauté du corps peut donc faire rêver la foule, le propos est plus fort. S’inscrit une forme de destruction du moi par son exacerbation là où le Pierrot fou fait le Jacques en regardant la lune pour y trouver son visage.
Jacques Henric, « Catherine Millet »
Chez Higgins
Portfolio n°45 de la collection Erotica
200€
http://www.chezhiggins.com/jacques-henric-catherine-millet.html
http://www.jacqueshenric.com