Rencontre exclusive à la Maison Rouge/fondation Antoine de Galbert du collectionneur Artur Walther à l’occasion de son exposition Après Eden pendant la semaine de Paris Photo. Une occasion unique d’appréhender les ressorts d’une passion de cet ancien financier de Goldman Sachs, qu’il quitte en 1994, pour se dédier entièrement à son obsession de la photographie.
« Collectionner n’est pas un acte égoïste » preuve en 5 points :
1. Comment arrivez-vous à établir une réelle cohérence dans une telle collection de 2500 images, dont les périodes dans le temps et le sujet des contextes géographiques sont si différents ?
Comme l’exposition à La Maison Rouge le démontre, une cohérence se dégage dans cette collection. Vous pouvez déjà y développer diverses thématiques d’approches. Cette collection n’est pas un point de vue unique sur les choses. Nous avons fait, par exemple, une exposition thématique sur la photographie africaine, en regardant les portraits, l’identité, le paysage, etc. Un autre thème important en était les archives et le regard occidental ou colonial. Dans toutes ces expositions, l’objectif commun du portrait était : penser au « moi » en se demandant qui est ce « moi » ? Qui sommes-nous, comment arrivons-nous à nous comprendre nous-mêmes, comment nous présentons-nous aux autres, comment regardons-nous les autres ? Cela concerne fortement le sujet de l’humain, de l’être, du « moi », mais bien plus que cela, il s’agit d’un paysage spécifique clairement défini et de l’environnement dans lequel nous nous trouvons. Ce n’est pas le paysage du sublime et de la beauté, mais de l’histoire de l’humanité, et de l’intrusion de l’humanité dans le paysage. Le revers de la médaille est le paysage urbain : comment vivons-nous, comment nous « archivons » notre vie, etc… Ce que je trouve de remarquable concernant cette collection, c’est son habileté à mettre ensemble et faire contraster de grands maîtres de la photographie du monde entier. Ce n’est pas une toile, ni un point de vue occidental. L’autre sujet intéressant, est qu’elle explore ces idées au fil du temps, en commençant par Eadweard Muybridge ou bien par les premières images coloniales jusqu’à aujourd’hui. Le concept de la sérialité en est la clef.
2. Pourquoi et comment avez-vous répondu à l’invitation d’Antoine de Galbert/La Maison Rouge ?
Je suis un grand fan d’Antoine et de La Maison Rouge. C’est un lieu unique. Je ne connais aucun autre endroit où l’on peut, en tant que collectionneur, se voir proposer un tel espace et offrir une liberté pour le travail avec la possibilité qu’il nous permet ici. Vous pouvez élaborer tous les aspects de votre exposition, tant dans les termes du concept, du design et de l’installation de l’espace. C’est très particulier et unique. L’on y trouve aussi une super équipe. En plus, le timing est parfait : Paris Photo a une audience et une perspective internationales, le moment est adéquat pour présenter une exposition avec une véritable profondeur historique, comme nous le faisons avec notre section historique des archives du XIXème. Comme je l’ai dit, nous avions déjà des expositions thématiques précédemment, mais pour arriver à mettre tout cela ensemble, et de cette manière, c’est vraiment quelque chose de spécial. Je me sens très honoré et très heureux.
3. Qu’est-ce qui vous a inspiré pour effectuer cette expertise externe de votre collection et faire appel à des commissaires indépendants ?
Je l’ai toujours fait pour chacune de mes expositions. Nous avons un Project Space [espace projet] à New York avec un programme très actif, et notre espace principal se trouve en Allemagne. J’ai toujours eu recours à un conservateur pour les grandes expositions. Je veux que mes expositions aillent en profondeur, qu’elles soient soigneusement étudiées, qu’elles aient une signification et qu’elles revêtent une importance scientifique. Pour cela j’ai besoin d’experts. Pour chaque exposition, nous éditons aussi une publication, comme vous pouvez le voir dans les vitrines à La Maison Rouge. J’ai regardé la collection suivant des approches très variées, mais pour vraiment en développer au mieux les perspectives, j’ai voulu engager une personne qui ne connaissait pas cette collection et qui l’aborderait avec une approche historique, c’est à dire dans une perspective qu’elle initierait avec les œuvres elles-mêmes. Simon Njami est ce type de personne, un commissaire indépendant et un écrivain, dont les centres d’intérêts couvrent la plupart de ces travaux.
4. Pour le public français qui a déjà découvert une partie de la collection à Arles, à travers l’exposition « Typologie, taxinomie et classement sériel », comment l’exposition de Simon Njami « Après Eden » diffère-t-elle ou s’en approche-t-elle ?
C’est plus vaste qu’à Arles, même si c’était déjà une exposition très importante. Elle renvoie à des sujets similaires, mais établit aussi d’autres connections. À Arles, nous n’avions qu’une petite collection de portraits africains ; ici, nous développons beaucoup plus cet aspect dans la collection, et la plaçons dans un dialogue avec les thématiques de paysages, d’identités et d’archives. À Arles, le travail des artistes japonais avait été représenté par les journaux personnels de Nobuyuoshi Araki et de Kohei Yoshiyuki, mais ici, nous l’avons agrandi avec l’apport du travail de Daido Mpriyama. Nous avons aussi finalisé notre exposition par une installation vidéo de Yang Fudong, qui nous amène dès lors à un autre niveau. Une autre différence avec Arles, où nous étions uniquement sur des séries et des séquences, ici, nous établissons des connections entre ces séquences. L’espace où Seydou Keïta est relié à Richard Avedon est véritablement remarquable et unique. Je ne pense pas que beaucoup de gens avaient déjà pu voir autant de portraits réunis dans un espace si condensé et avec autant d’œuvres – ces pans entiers de travaux représentent les tranches de la société, dans tous ses regroupements et leurs transitions. Je continue à repenser cette section. C’est incroyable – elle est très différente d’Arles. L’exposition devient aussi de plus en plus dense lorsque que vous descendez les escaliers. Quand on arrive à la fin, il faut reprendre son souffle !
5. Quels changements avez-vous relevés dans le cadre de vos multiples engagements à l’égard du rôle et de la place du collectionneur ?
Personnellement, en y repensant, au fil des années j’ai commencé à collectionner très lentement les travaux de Bechers, Sander et Blossfeldt. J’ai commencé très graduellement, et cela m’a pris un certain nombre d’années. Ensuite, j’ai effectué des voyages en Chine, et encore une fois, cela m’a pris du temps avant que je ne puisse acheter des œuvres d’artistes chinois. Après cela, j’ai senti que j’avais pu développer une sorte de compréhension de ce qui se passait ici. En recherchant et en parlant aux conservateurs d’art, aux artistes et aux étudiants, les acquis deviennent de plus en plus profonds. C’est très important pour moi : plus on en fait, plus on sait et plus on compare. Dès lors, les conditions ont été modifiées. Cela s’est accéléré, notamment, et au moins dans les modalités de collections. Collectionner et posséder un espace d’exposition sont des domaines assez différents, parce qu’avec une exposition il faut remplir un programme, et le programme doit avoir un sens. C’est intéressant de parler avec Antoine, c’est un collectionneur mais il propose une espace disponible pour les autres. J’ai abordé une autre approche, en réalisant des expositions en dehors de la collection. Par exemple, concernant le Project Space de New York, j’étudie, je recherche, et j’expérimente autour de certains thèmes, concepts et idées, que j’utilise afin de collectionner et d’exposer d’une manière à la fois plus large et plus intime. La collection est très focalisée et s’agrandit vite. La troisième chose est la publication du programme, qui développe nos activités vers d’autres dimensions. En montrant un travail dans un certain espace, vous pouvez vous adresser à une audience spécifique, celle de gens intéressés, mais en ayant cette publication, cela vous permet d’atteindre un plus grand nombre de personnes et d’intérêts dans le monde entier. En faisant voyager l’exposition, vous pouvez aussi faire la même chose. Pour conclure, oui, mon rôle et mes activités ont changé radicalement !
EXPOSITION
Après Eden
Collection Artur Walther
Commissaire d’exposition : Simon Njami
Du 17 octobre 2015 au 17 janvier 2016
La maison rouge
Fondation Antoine de Galbert
10 bd de la bastille
75012 Paris
France.
33 (0) 1 40 01 08 81
[email protected]
www.lamaisonrouge.org