Chronique Mensuelle de Thierry Maindrault
C’est un moment absolument exceptionnel celui où pendant que l’obturateur, ou ce qui en fait office, s’ouvre et que le petit oiseau peut s’échapper promptement de votre appareil. Ce que tout opérateur, à travers l’histoire de la photographie, oubliait de préciser c’est qu’il profitait de cette opération pour voler dans son appareil tout ce qui se pavanait devant le sténopé, avec ou sans outillage optique. Ce petit rappel technique sur la façon temporelle de fixer un sujet avec la complicité de la lumière vous semble certainement désuet. C’est pourtant la condition essentielle et indispensable à l’existence d’une image photographique. Vous allez m’objecter qu’il existe des opérations antérieures ou postérieures au déclic qui participent de la matérialité d’une œuvre photographique. C’est vrai, je ne vous le conteste pas, elles sont quasiment illimitées les opérations, réalisées seules ou en séries, qui permettent l’évolution vers sa finalité d’une œuvre. Mais une seule est indispensable dans la tentative de figer une situation dans le temps. Peu importe le style ou l’objet de la photographie (paysages, portraits, natures mortes, animaux, etc.) tout l’avenir de l’image se joue avec l’agilité d’un doigt sur un bouton (bien entendu cela vaut pour la poire pneumatique, le bouchon d’optique, la radio commande, le déclencheur et mille autres systèmes ingénieux). La prise de vue c’est un laps de temps pour graver, avec la lumière, un alignement de planètes comprenant un sujet toujours complexe, une lumière souvent capricieuse, un appareillage assez rebelle, un créateur en permanence exigeant. C’est toute la difficulté que de figer la lumière au bon instant – lorsque tout ce petit monde semble vouloir se synchroniser – pour pouvoir raconter ou émouvoir dans les temps futurs.
Je vais donc partager avec vous cet instant magique qui détermine l’œuvre lorsque il ne la fait pas directement comme c’est le cas pour les photoreporters. Vous pouvez toujours habiller et maquiller vos photographies tant avant le déclic qu’après. Avant le clic se sera les costumes et les cosmétiques sur les personnes ou sur les objets, l’installation ou non d’un contexte avec des fonds naturels ou reconstitués, la filtration et la délimitation de la lumière, le mouvement relatif des formes entre elles, le réglage technique des matériels pour la prise de vue. Après le traditionnel «c’est dans la boite» les actions peuvent s’étendre d’un développement instantané de type Polaroïd jusqu’à de multiples opérations à travers des bains de produits chimiques ou des actions numériques complexes avec des logiciels informatiques. Pour un vrai photographe digne de cette qualification (autodidacte ou diplômé : il possède la technique) tous les coups sont permis et rien ne saurait l’arrêter pour l’obtention du résultat souhaité. Tout cela peut s’avérer nécessaire à la valorisation et obtention d’une œuvre photographique ; mais en aucun cas, tous ces artifices seront suffisants. Le seul élément dont nul ne peut se passer c’est l’instant magique qui non seulement ne doit pas être négligé ; mais en sus, fera cette différence, bien réelle, entre une simple image de technique photographique et une œuvre exceptionnelle.
Nous voici arrivé dans le vif du sujet, dans la dimension temporelle celle là même qui peut fâcher. Pourquoi certains photographes réalisent des œuvres exceptionnelles à répétition ? Ensuite pourquoi de bons techniciens nous offrent, sans plus, des images méritoires correctes avec constance ? Enfin comment des personnes à la recherche d’une valorisation de leur nom, fussent-elles passées par des écoles dites prestigieuses et avoir des tirages exposés dans des galeries non moins prestigieuses, sont incapables de présenter autre chose que des photographies qu’elles s’obligent à proclamer elles mêmes extraordinaires. Parfois, il est à noter un soupçon de vérité (concernant l’extraordinaire) au profit des manipulateurs éclairés (coté porte monnaie) des marchés dits artistiques et financiers ?
Après avoir éliminé environ 95% des photographies prises à tous bouts de champs et qui disparaissent naturellement avec leur propre contenu malgré leurs démultiplications à des milliers, voire des millions, d’exemplaires à l’intérieur de réseaux sociaux. Ces derniers les phagocytent plus vite qu’elles ne se propagent (la sélection naturelle a beaucoup de mérites). Après avoir remisé toutes les photographies dites automatiques réalisées à des fins de sécurité, de documentation, de preuve ou d’illustration. L’image réalisée par une machine, même celles dotées d’une intelligence dite artificielle et hyper sophistiquées qui ont été présentées récemment à la gente photographique, n’ont pour l’instant aucun intérêt. Au passage cela devient une vraie corvée de débrayer les 70 à 90% d’automatismes pré-programmés dans nos appareils de prises de vues qui n’échappent pas plus à ces délires actuels qu’une machine à laver ou une automobile (souvenez vous de la fameuse machine à décerveler d’Alfred Jarry). J’ai également sorti l’amateur de l’image, surtout de sa propre image qui ne peut être assortie qu’à des marques « prestigieuses » avec si possible des ambassadeurs auxquels il est de bon ton de s’identifier. Pour être honnête certaines images de ces ambassadeurs sont étrangement au niveau des images de notre amateur, difficile parfois de savoir qui déteint sur qui ! Si tous ces gens et quelques autres (la liste serait un peu trop longue) appuient souvent ou parfois sur un déclencheur aucun n’a comprit qu’il y a une fenêtre temporelle pour le faire et que cette fenêtre est très précise en fonction de la finalité recherchée.
Qui reste-t-il pour réaliser cet instant magique : la véritable source d’une photographie pour la galerie des œuvres en devenir ? Il reste un photographe, l’homme à tout faire, celui qui maîtrise parfaitement les multiples paramètres indispensables à l’expression de ses idées qui feront l’originalité de ses images. Parmi ces personnages, plus ou moins multi-compétents, se détachent les champions de l’anticipation, les créateurs (à ne pas confondre avec les créatifs!). Le déclenchement de la prise de vue, quelque soit la durée de pose, s’anticipe toujours pour assurer l’exact alignement ci dessus précité. L’instant de l’impact de la lumière arrive toujours après une certaine latence qui change tout, même lorsqu’elle est infime, voire imperceptible à notre entendement. Ce décalage provient de notre propre temps de réaction nerveuse (sauf à s’appeler Luky Luke cela va de soi), du temps de réaction du matériel et aussi parfois du « feed back » du sujet. Il y a peu d’années ce phénomène était flagrant et quelque peu déroutant pour beaucoup avec l’arrivée des appareils numériques qui présentaient des réactions décalées du genre : «deux de tension». L’anticipation c’est incontestablement vrai, mais uniquement pour le portrait en instantané me contesterez vous ! Pas du tout. Si c’est certainement le champ, ou l’un des champs, d’opération le plus difficile et le plus astreignant (combien de portraits connus ont perdu l’étincelle d’une personnalité et ne présentent plus qu’une demi mesure de la magie dans le meilleur des cas). La constatation est toute aussi valable pour les natures mortes ou les paysages qui pourtant permettent souvent des temps de pose beaucoup plus souples. Les spécialistes reconnus de la pose lente ne me contrediront sûrement pas, même lorsque les poses durent des heures, ils se doivent d’anticiper l’intégralité de l’instant du captage de la lumière avec tous ses aléas. N’allez surtout pas imaginer que le résultat est le fruit d’un hasard bienveillant lorsqu’il est reproduit par un même auteur dans ses divers travaux.
Définitivement, la question n’est pas de savoir appuyer sur un bouton, après la préparation et avant les opérations de mise en valeur, le problème est de ressentir et d’anticiper quand l’instant magique s’offrira à vous. Un maître créateur de la photographie animalière l’affirmait récemment dans une brillante conférence : « … et cela ne s’apprend pas dans les écoles ! ».
Thierry Maindrault – 08 octobre 2021
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