Nous vous avons annoncé la semaine dernière la mort de Michele McNally. Elle était l’une des très grandes photo éditrices de notre époque. Celle qui transforma un journal de textes et y fit entrer à part entière la photographie et les photographes dans le New York Times.
Elle était de plus un très beau personnage.
Haute comme 3 pommes, un vocabulaire étonnant, un regard séduisant, elle était un mélange rare de charme et de détermination.
2 personnes qui l’ont tres bien connue nous parlent d’elle : Eliane Laffont, qui lui donna sa premiere chance professionnelle à Sygma en 1974 et Scott Thode le photographe qui la rencontra et travailla avec elle à Fortune de 1996 a 2004.
Jean-Jacques Naudet
Je vous parle d’un temps… Michele McNally a Sygma par Eliane Laffont
La mort de Michele me remplit d’une immense tristesse et laisse un énorme vide dans mon cœur. Ii m’est impossible de raconter ici tous ses exploits, Je ne peux que partager avec vous la période du tout début de sa vie professionnelle avec moi… Je vous parle d’un temps… Les années Sygma, l’histoire du photojournalisme.
Nous sommes dans les années 70 et l’agence Sygma révolutionne le monde du photojournalisme et cette révolution repose sur plusieurs idées: sortir les photographes de l’anonymat en créditant leurs noms sous les photos, donner leurs titres de noblesse aux photojournalistes qui sont autant journaliste que photographe, les laisser raconter leurs histoires et pas seulement saisir un moment, établir une co-production entre agence et photographes, 50% des frais, 50% des ventes. Et tout cela en spéculation…
Une nouvelle aventure du photojournalisme « à la française », importée de France et installée par Jean-Pierre et moi aux États-Unis en 1969. Nouveau type d’agence, nouvelle façon de travailler…
Nos débuts sont héroïques, notre travail immense, notre succès est fulgurant et immédiat.
Il me faut trouver un local et engager un staff. Je veux des jeunes sans expérience dans un métier qui n’existe pas et que nous inventons en le faisant.
A New York, je rencontre Michele Fiordelisi (elle deviendra Michele McNally plus tard). Elle vient de terminer son premier emploi d’été comme archiviste dans la division vidéo de la bibliothèque du Brooklyn Public Library, et je ne sais plus comment elle arrive à Sygma. Je suis immédiatement séduite par son énergie et son franc-parler. Nous sommes en 1974 et elle a 19 ans. Je l’engage aussitôt, son salaire est de 120 dollars par semaine, Sygma a sa première archiviste. Mais son énergie est telle qu’elle demande toujours plus de travail. Je lui propose de s’occuper des photos vendues, de les tamponner, de les légender, de les mettre dans des enveloppes et d’aller à la poste pour les expédier. Tout est fait vite et bien, elle va même à la poste après le bureau sur son chemin de retour à la maison.
C’est une énorme travailleuse, son énergie est inépuisable. Elle fait tout parfaitement ! Sa bonne humeur est permanente, Jean-Pierre l’adore, il aime sa voix forte et son débit rapide, il l’appelle « Crazy Eddie » …
Ce petit bout de femme me plait, je la prends près de moi et lui apprends comment éditer les photos et les vendre. C’est une vendeuse exceptionnelle et très convaincante. La voilà donc promue à la vente et je lui donne son premier client Newsweek. Jim Roehrig que j’ai engagé quelques mois auparavant, préfère s’occuper des célébrités que nous appelons le département de “charme“ et Michele et moi nous travaillons dans le “news“. Nous avons toutes les deux la passion pour les news, nous sommes des news junkies accrochées à la télévision qui est en permanence en bruit de fond dans le bureau que nous partageons. Nous travaillons comme si nous avions un magazine virtuel : nous décidions des histoires à couvrir, quel photographe envoyer, trouver les photographes, les accompagner dans leur travail, anticiper l’actualité, éditer les photos, les légender, les vendre, et les cataloguer.
Nous allions toutes les semaines dans les rédactions des magazines vendre les photos aux éditeurs, nous étions entourées de journalistes qui nous accueillaient avec du café et de la bière, les sols des rédactions étaient jonchés de coupures de journaux. Il fallait parler fort pour se faire entendre, les cliquetis des télex étaient assourdissants. Les newsrooms sentaient la cigarette, les téléphones sonnaient en permanence, l’art directeur nous montrait la maquette avec nos photos punaisées sur les murs. Un monde qui n’existe plus… Un monde merveilleux, intelligent, plein de force créative… Pas étonnant que Michele voudra plus tard quitter l’agence pour faire partie de ce monde.
Le marché est au top, le monde est en explosion : le Chili, les boat people, le Vietnam, le Liban, la Pologne, la Guerre Froide, les rescapés des Andes, l’Iran, le Mozambique…sans oublier les People… Nos photographes sont géniaux, et leurs photos envahissent les pages des journaux et des magazines. Nous sommes si rapides dans nos décisions que bien souvent nos photos sont dans les rédactions avant que les éditeurs aient décidés d’envoyer un photographe de leur staff.
Oui, nous sommes arrivés à un moment clé, la photo était toute puissante, le monde en ébullition, la presse avait d’énormes budgets et nous avions inventé la bonne formule pour travailler avec eux. Mais je veux rendre aussi hommage à ceux et celles qui ont renouvelés le monde du photojournalisme dans les années 70 et Michele en fait partie. C est à Sygma que Michele a appris ce dont elle se servira pour le reste de sa brillante carrière et Je suis honorée d’avoir été son mentor mais Michele avait en elle des qualités qui ont fait d’elle ce qu’elle était, et ces qualités sont les siennes, je ne lui ai pas apportées. Sa curiosité, sa gestion pleine de compassion pour l’humain, sa passion et son travail acharné qui hissera le photojournalisme plus haut encore au New York Times.
C’est l’enthousiasme permanent et contagieux de Michele ainsi que de sa passion pour ce métier dont je me souviendrai toujours. Elle était un géant dans un corps minuscule.
Eliane Laffont, New York, 4 mars 2022