En Zigzag
L’édition 2021 d’Images Singulières étant aussi perturbée que la précédente, les activités sont cette fois réparties le long de l’année, principalement autour de la Maison de l’image documentaire. Rencontre avec le nouvel artiste résident, Hugues de Wurstemberger, Suisse de naissance et Belge d’adoption, visite d’expo et retour sur un parcours.
La pratique de la résidence pour un auteur, le respect du cahier des charges et des échéances de la commande l’amène parfois à orienter son travail au moment même de le commencer, procurant autant la frustration que l’inspirante motivation inhérentes à l’exercice. Connu et reconnu pour ses images composées en carrés faites de beaux équilibres de noir et blanc, c’est pourtant une galerie de rectangles verticaux, en couleurs, que le photographe Suisse a livré à l’issue de ses huit semaines de prise de vues, en réservant seulement quelques unes dans ces valeurs de gris qu’il affectionne, lors de délicatesses de la lumière sur le paysage visité. L’herbier qu’il avait en tête, avant même d’être sur place, s’est mué en une déambulation au fil d’un environnement proche, et des rencontres locales, glanant ses images autour des étangs de Thau, de Vic et de leurs voisins palavasiens, liant sa suite de photographies aux éléments, eau, terre, feu, air, au vol des oiseaux, eux-mêmes résidents héraultais. « J’ai toujours été épaté par les flamants roses, il est quand même formidable cet oiseau qui ressemble, en vol, à un fer à béton tordu … tout en apprenant que c’est une espèce qui ne migre plus, elle reste à demeure ; sans doute un autre indice lié au changement climatique »
Croisant, ici, des maraichers pratiquant l’agroforesterie, ou là, une conchylicultrice initiée aux techniques japonaises d’élevage d’huitres, l’artiste témoigne donc d’un écosystème magnifique mais fragile, tamaris, insectes et ces posidonies – un type de plantes aquatiques vivant sous l’eau et poussant très lentement – qui donnent le sous-titre au livre publié annuellement par Images Singulières chez Le Bec en l’air. Son travail de restitution de résidence, il le définit lui-même « J’ai trainé dans le paysage en zigzag, en essayant de structurer le territoire et toujours cette idée de départ de faire un herbier avec cet arrière-plan de problématique environnementale, en évitant d’y mettre de l’humain. Et, petit à petit, j’ai rencontré des gens très actifs ici, impliqués, et qui sont préoccupés par la préservation de cette région ».
L’ancien garde Suisse a forcément dû être dépaysé, lui qui réussit à montrer ses premières images au musée de l’Élysée de Lausanne, prises au sein même de l’institution militaire. Travail qui lui a ensuite ouvert les portes de l’agence VU fraichement créée par Christian Caujolle et Zina Rouabah en 1986. Biberonné aux images de Werner Bischoff, Gotthard Schuh, Jakob Tugener et bien sûr Robert Frank, c’est le mari de sa tante, photographe lui-même, qui lui a mis son premier appareil 6×6 entre les mains.
Avec John Vink et son ami Michel Vanden Eeckhoudt qui l’a beaucoup inspiré, H2W (pour les intimes) fait partie de la « délégation Belge » de VU, et collabore activement à Libération et au Monde, entre autre, de 1985 à 1998 – il obtiendra au passage le prix Niepce en 1990 – en développant des sujets en tandem avec des journalistes comme Philippe Garnier, pour couvrir le festival de Venise ou de Cannes, se réservant aussi ce regard d’auteur cher aux membres de l’agence.
Parallèlement à ses publications presse il mettra ses compositions en moyen format noir & blanc, peu prisées par les magazines, au service de l’humain et d’associations comme la Pestalozzi Children’s Foundation ou Les amis de l’atelier. Il reviendra dans ses montagnes Suisses en 1995, et voyagera aussi, beaucoup en Afrique, Maroc, Mauritanie, Zambie et Éthiopie, ainsi qu’au Salvador, à la recherche de cette authenticité qu’il poursuit sans répit, et de la simplicité mêlée d’intime, présente dans « Pauline et Pierre » qui observe sur plusieurs années ses propres enfants.
A partir de 2005 c’est dans l’enseignement qu’il transmet son savoir, au Septentecinq, établissement d’enseignement supérieur d’art de Bruxelles, assez orienté vers la photographie documentaire. École fondée dans les années 70 avec le photographe Yves Auquier, qui animait aussi le Groupe Images et qui a notamment exposé très tôt les pionniers comme Lee Friedlander. Le manque de temps, hélas, ne laisse plus beaucoup de place au professeur qu’H2W est devenu pour ses travaux personnels, mais la compensation se retrouvera dans l’enrichissement procuré par les échanges avec les élèves et dans un enseignement relativement libre, du moins dans les années passées, qui privilégiait les liens humains plutôt que les résultats. Retraité de l’institution depuis janvier 2021, nous devrions rapidement retrouver son regard attentionné et sa démarche élégante dans notre horizon photographique.
Jean-Jacques Ader
Exposition à la Maison de l’image documentaire de Sète jusqu’au 5 Septembre 2021
https://agencevu.com/photographe/hugues-de-wurstemberger/