Louis Dalmas a créé l’une des plus dynamiques agences de presse photographiques françaises après la seconde guerre mondiale. Doté d’une énergie hors du commun, il aurait pu faire un beau centenaire, mais, hélas, il est mort le dimanche 3 août 2014 à l’âge de 94 ans. Un parcours exceptionnel.
Le marquis Melchior, Louis, Marie Dalmas de Polignac dit Louis Dalmas est né à Paris le mardi 1er juin 1920. Sa mère Nina Floyd Crosby est une américaine. Elle a épousé son père, Marie Charles Jean Melchior1 de Polignac, en 1917 à New York City. Ils se sont rencontrés à l’occasion de la mission d’André Tardieu, haut-commissaire de France envoyé à Washington pour promouvoir l’entrée en guerre des américains. Le marquis de Polignac père est, entre les deux guerres, un homme d’affaire influent, promoteur de l’aviation, membre du conseil d’administration des Champagnes Pommery, membre du Comité Olympique International. Mais, sous l’occupation nazie il est devenu, pour défendre ses intérêts, membre d’un comité d’honneur d’un groupe favorable à la « collaboration ». Arrêté le 6 septembre 1944, il bénéficie d’un non-lieu quant à l’inculpation d’intelligence avec l’ennemi. Il est toutefois condamné à 10 ans d’indignité nationale… Immédiatement relevé de cette peine pour « services rendus à la Résistance ».
Louis Dalmas, un marquis défroqué
Melchior, Louis, Marie Dalmas de Polignac ne signera jamais de ce nom, sa famille lui pèse et il quitte le domicile familial à 16 ans en 1936. Elève au Lycée Janson de Sailly à Paris, il vit d’expédients pour poursuivre ses études, baccalauréats, droit, lettres. C’est un grand sportif qui pratique le ski, le motonautisme et est – selon son autobiographie – repéré par la marque automobile Maserati pour devenir pilote de course, avant de s’engager dans l’armée comme volontaire à la déclaration de la guerre.
Breveté pilote de l’Armée de l’air à Angers, l’avancée des troupes allemandes le fait se replier en l’Algérie. Avec cinq camarades, il aurait fait le projet de s’embarquer pour Gibraltar en volant un avion « Goéland » mais le bombardement de la flotte française par les Anglais à Mers el-Kébir les en dissuade. Démobilisé à Alger en août 1940, il est rapatrié en France.
« Après un an de difficile subsistance au jour le jour en zone libre, sans relations et sans un sou » Louis Dalmas revient vers la capitale et devient secrétaire de rédaction d’une revue d’art « La Vie en Images ». Il collabore aux journaux clandestins « Franc-Tireur », « Vérité » et « Front Ouvrier » d’obédience trotskyste, et imprime le « Manuel du prisonnier de guerre et déporté », un opuscule cité régulièrement à la BBC depuis Londres.
Il travaille à plusieurs reprises pour les services de renseignements alliés, devient membre des FTP, anime et fait vivre un maquis composé de prisonniers russes évadés et de républicains espagnols échappés de l’Organisation Todt. Autour de la ferme, où il s’est réfugié pour éviter le travail obligatoire, il devient sous-officier de liaison d’un camp de 650 Soviétiques évadés, réfugiés ou laissés-pour-compte par la retraite allemande.
Après-guerre, carte de presse n°5204
François Crucy (1875-1958) est journaliste et PDG de l’Agence France-Presse, c’est sous sa direction mais surtout sous celle de Maurice Nègre (1901-1985) qui va lui succéder de 1950 à 1957 que Louis Dalmas va faire ses premières armes dans la presse libre, à l’AFP. Il travaille alors au secrétariat de rédaction du service outremer. Il quitte l’AFP pour Paris-Presse, puis pour l’agence United Press (UP), puis, un temps pour le quotidien Combat…
Il est dans l’équipe militante de l’éphémère aventure du Rassemblement démocratique révolutionnaire (RDR) avec Jean-Paul Sartre, David Rousset, l’abbé Pierre et Claude Bourdet… Il se fait ensuite embaucher au grand hebdomadaire de l’époque, France Dimanche, avec Max Corre, Bill Higgins, Armand Jammot, Gérard de Villiers, Maurice Siegel etc. Rappelons que France Dimanche tire alors à plus d’un million d’exemplaires !
Il enchaîne ensuite les collaborations, « Les Temps Modernes » et la « Tribune des Peuples », avec KS Karol, Michel Crozier et Jean Duvignaud. Devient envoyé spécial de France-Soir, interviewe le Maréchal Tito après sa rupture avec Moscou, Nasser, Ben Gourion, le Shah d’Iran sans oublier Gina Lollobrigida et Sophia Loren. On n’en finit plus de citer toutes les personnalités qu’il a rencontrées !
Louis Dalmas a ensuite une période journaliste scientifique et médical en particulier à « Science et Vie » et qui va se terminer avec la création de sa propre agence de presse : l’agence Dalmas !
Agence Dalmas comptera plus de 75 salariés !
L’agence de presse Dalmas qu’il fonde le 14 juillet 1955 avec le photographe Louis Foucherand va connaitre d’incroyables succès jusqu’à en faire « La plus importante agence de reportages d’Europe » selon Louis Dalmas lui-même.
En fait, dans ces années de reconstruction, il y a quelques agences qui ont traversé l’occupation nazie : Keystone, United Press, Associated Press, l’AGIP de Robert Cohen etc. Rapho s’est relancé en 1946, l’américaine Magnum Photo a été créée en 1947 à New York mais il y a de la place pour un autre type d’agence photo. On va les nommer « agence feature » par opposition aux « agences télégraphiques » (AFP, AP, UP) qui fonctionnent encore avec des bélinographes et privilégient la diffusion auprès des quotidiens.
L’agence de Louis Dalmas, s’inscrit dans la même catégorie que l’agence des Reporters Associés de Lova de Vaysse, Europress de Raymond Darolle, ou l’agence APIS de Jean Garnier. Ces agences sont servies par une actualité foisonnante : guerre d’Indochine, de Corée, d’Algérie, retour de Charles de Gaulle au pouvoir, foisonnement du monde culturel (cinéma, théâtre, chanson).
L’agence Dalmas va compter plus de 75 employés, disposer de vastes locaux dont un exclusif au nouvel aéroport de Paris-Orly pour photographier les vedettes qui atterrissent et qui décollent… Chez Dalmas, outre la bien connue collaboration de Raymond Depardon, Louis Dalmas fait travailler un grand nombre de professionnels connus à l’époque ou qui le deviendront. Floris de Bonneville y assumera un temps la rédaction en chef avant d’être invité par Raymond Depardon à participer à l’aventure de Gamma qui transformera le marché.
Mais ce qui caractérise l’agence de presse Dalmas, c’est sa recherche des « coups », des « scoops », quitte à les fabriquer. En juin 1956, par exemple pour Paris Match, l’agence Dalmas organise le saut de « La fiancée du ciel » Colette Duval, mannequin, saute en parachute depuis l’altitude de 11 147 m, un record ! Ensuite, Gil Delamare, un cascadeur, ami de Colette Duval, saute en parachute sur le paquebot « Santa Maria » détourné par des mutins. En juillet 1959, l’agence engage Colette Duval dans la course Paris-Londres entre Marble Arch et l’Arc de Triomphe, organisée par le Daily Mail. En août 1960, l’agence organise l’opération « Sahara » pour retrouver des soldats perdus en envoyant Raymond Depardon mobilisé également sur l’enlèvement du « petit Peugeot », et puis comme les autres agences concurrentes, les mariages royaux des cours d’Europe sont de belles sources de revenus !
Il faut dire que dans les années 1950/1960, les postes de télévision sont rares dans les foyers et la télévision ne dispose pas encore de moyens légers de transmission. La photo est reine, les tirages des quotidiens, en particulier de France-Soir mais également de France Dimanche et de Paris Match dépassent le million d’exemplaires !
Ce monde de l’après-guerre va peu à peu céder la place à la montée de nouveaux mode de vie créés par les « babyboomers ». A Gilbert Bécaud, Edith Piaf, Luis Mariano et Maurice Chevalier vont succéder les Beatles et les Rolling Stones.
A la télévision gérée par le Ministre de l’Information, va succéder une télévision en couleur et en mouvement… A la guerre d’Algérie et à ses hommes politiques, vont succéder les manifestations contre la guerre au Vietnam. Mai 68 mettra un point final à la période de la reconstruction et Europress, les Reporters Associés, et Dalmas seront enterrées par la jeune équipe menée par Hubert Henrotte à Gamma où l’on retrouvera très vite les talents photographiques qui ont fait leurs classes avec les Louis Dalmas, les Lova de Vaysse, les Jean Granier.
Louis Dalmas change son fusil d’épaule, profite de la libération des mœurs et édite, dirige et fabrique plusieurs publications : les mensuels érotiques « S » et « Elle et Lui », la revue d’art et de peinture « Art Press » avec Catherine Millet, l’hebdomadaire illustré « Rapport », les guides « Paris tel qu’il est » et « Paris-Sexy », l’officiel du jeu de boules « Pétanque et Jeu provençal » !
Au début des années 1980, Louis Dalmas vend ses publications, locaux, installations techniques à divers acheteurs et les archives de l’agence Dalmas (cinq millions de photos) à l’agence SIPA. Il fondera par la suite le mensuel “Balkans-Infos” qui devient en 2002 “B. I.”, un journal indépendant consacré aux affaires étrangères, diffusé uniquement par abonnement, « qui révèle les vérités cachées de la politique internationale souvent très différentes des versions officielles. »
Michel Puech
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