La 12ème édition des Rencontres de Bamako – Biennale Africaine de la Photographie a démarré le 30 novembre dernier au Mali. Très attendue par l’ensemble des artistes et professionnels s’étant déplacés pour l’événement, la cérémonie de remise des Prix s’est tenue la veille de la clôture de la semaine professionnelle.
De nouveaux prix font leur apparition cette année, avec notamment le Prix du Président de la République du Mali, en adéquation avec la nomination du Chef de l’État malien, Ibrahim Boubacar Keïta, comme coordinateur de l’Union africaine pour les arts, la culture et le patrimoine en 2019 à Addis Abeba. C’est également le cas des Prix Okwui Enwezor et Bisi Silva, qui ont été créés en hommage aux deux célèbres commissaires et penseurs décédés cette année, avec le désir de reconnaître et pérenniser la mémoire de leurs contributions au monde de l’art et de leurs soutiens aux artistes issus du monde africain.
L’annonce des lauréats a eu lieu suite à la délibération d’un jury présidé par Christine Eyene (Commissaire, critique et historienne de l’art) et composé de Dana Whabira (Artiste, architecte et fondatrice de la Njelele Art Station), Uche Okpa-Iroha (Photographe ayant gagné à deux reprises le Prix Seydou Keïta, membre fondateur de Blackbox Collective et d’Invisible Borders, Directeur du Nlele Institute) et Arthur Kibbelaar (Collectionneur et diplomate).
En dépit du nombre élevé de propositions présentées lors de cette 12ème édition des Rencontres de Bamako – 85 précisément, les membres du jury s’en sont donné à cœur joie pour analyser consciencieusement les travaux de tous les artistes afin de répondre aux critères avancés par chacun des prix. Les huit artistes ayant été récompensés sont :
Prix du Président de la République du Mali : Khalil Nemmaoui
Khalil Nemmaoui présente la série Air Twelve land (2019), un projet mettant en lumière la présence de la Renault 12 dans les paysages marocains pour aborder, avec subtilité et poésie, différentes caractéristiques de notre société de consommation moderne. La R12 devient ici un objet empreint d’une certaine nostalgie et d’une symbolique liée à sa propre mythologie personnelle. Personnifiant le vieux modèle de voiture, il en fait un portrait d’un genre nouveau pour en démontrer la fiabilité à travers le temps et questionner la notion de valeur des objets.
Prix Centre Soleil d’Afrique : Amina Ayman Kadous
Récompensant une artiste femme africaine dont les travaux dénotent par leur caractère prometteur, le Prix Centre Soleil d’Afrique a été remis à la jeune photographe égyptienne Amina Ayman Kadous, qui présente l’installation photo A crack in the memory of my memory (2019), un travail produit dans le cadre d’une carte blanche d’Al Safar en partenariat avec Darb 1718. Il s’agit d’une réflexion très personnelle sur la façon dont nous construisons nos mémoires à travers des trajectoires encrées dans les espace-temps de nos vécus. Ce travail prend pour point de départ sa propre enfance pendant laquelle elle empruntait toutes les semaines le même chemin entre la maison familiale de son père et celle de sa mère, et se questionnait alors sur son histoire et celle de ses aïeuls.
Prix Okwui Enwezor : Abraham Oghobase
Ce prix, qui distingue la philosophie et le concept de ré-imagerie et sa contribution à l’expression artistique internationale, revient au photographe Abraham Oghobase pour sa série Anatomy of Landscape (2018). La série met en évidence le dialogue qu’il tente de créer en intégrant son propre corps au sein de paysages de la région du plateau de Jos, au Nigéria, des paysages qui portent les stigmates d’activités d’extraction minière abusive passées et présentes, initiées par les colonies britanniques.
Prix Bisi Silva : Buhlebezwe Siwani
En adéquation avec sa volonté d’encourager la recherche, l’éducation et l’excellence des artistes en Afrique grâce à son travail de directrice du Centre Contemporary Arts Lagos, le Prix Bisi Silva cette année est remis à la sud-africaine Buhlebezwe Siwani. Son installation vidéo à deux canaux, intitulée Ama Hubo, traite de l’impact que la conquête occidentale-chrétienne et la colonisation a pu avoir sur les croyances religieuses et spirituelles natives d’une part, et la perception du corps de la femme noire, d’autre part.
Prix De L’Union Européenne : Christian Nyampeta
Christian Nyampeta est récompensé pour son travail remarquable en tant qu’artiste dont la pratique est basée sur l’objectif. Dans son film Sometimes It Was Beautiful (2018), il confronte de manière fictive le cinéaste de renom Sven Nykvist aux personnalités Andrei Tarkovsky, Yasser Arafat, Leela Gandhi, Rigoberta Menchu, Robert Mugabe, Wole Soyinka, la princesse héritière Victoria de Suède, Winnie Mandela, le 14e Dalaï Lama. Ce dialogue permet d’établir une critique du court métrage ethno-documentaire réalisé par Nykvist au Congo entre 1948 et 1952, In the Footsteps of the Witchdoctor. Christian Nyampeta y dénonce la responsabilité éthique du cinéaste vis-à-vis de la violence directe et indirecte aux peuples noirs inhérente à ce film et y questionne la façon dont l’histoire peut s’écrire et ne peut se réécrire.
Prix de L’OIF : Léonard Pongo
Le Prix de L’OIF revient à Léonard Pongo en tant que jeune artiste audacieux âgé de 25 à 35 ans. Avec un appareil photo infrarouge et sensible aux rayons ultraviolets, Léonard Pongo arpente les territoires insondés de la RDC afin de capturer l’invisible à l’œil humain. Dans sa série Primordial Earth (2018-2019), qui évoque les croyances ésotériques Luba, il crée de nouveaux imaginaires, à mi-chemin entre fiction et science, vis-à-vis de ces paysages mystérieux.
Prix du Réseau Kya : Amsatou Diallo
Amsatou Diallo reçoit la distinction de meilleur(e) photographe malien(ne) avec sa série Scènes de vie (2017-en cours). En superposant une iconographie passée et présente de la vie quotidienne et de la culture populaire africaines avec des paysages urbains qu’elle a capturés dans la ville de Wilson, en Caroline du Nord, États-Unis, Amsatou Diallo ouvre ici une réflexion sur la complexité et la précarité des identités africaines à l’ère de la mondialisation.
Prix Seydou Keita : Adeola Olagunju
Quant au Prix Seydou Keïta, qui récompense la meilleure création de la 12ème édition des Rencontres de Bamako, et qui est décerné à un ou une artiste qui développe une pensée critique dans l’exécution de son œuvre et dont l’œuvre représente une approche hors du commun et techniquement remarquable, il revient à l’artiste multimédia Adeola Olagunju. Avec la pièce photographique Transmutations (2018) et l’installation vidéo Pilgrimage (2018), Adeola Olagunju explore la transformation psycho-spirituelle qui vise à atteindre le soi divin, le véritable soi.
Si aucun des artistes présentés lors des Rencontres de Bamako n’a démérité, il est indéniable que les lauréats ont tous réalisé des travaux remarquables d’un point de vue esthétique et conceptuel. La satisfaction était grande de pouvoir assister à toute l’effusion des émotions provoquées chez les lauréats et de percevoir les effets encourageants procurés par ces prix.
Léonard Pongo s’exprime au sujet de son ressenti quant au Prix de l’OIF qu’il a reçu : « C’est une surprise absolue ! Je ne m’attendais pas du tout à recevoir de prix pour ce tout nouveau projet, et suis profondément touché qu’il ait trouvé une audience réceptive. Le prix de l’OIF me permettra de continuer le projet sur lequel je compte me concentrer pour les années à venir. Les membres qui constituent le jury et qui ont décerné le prix sont également de grands artistes et curateurs africains. Savoir qu’ils apprécient ma vision, et le lien à la terre et aux traditions qui l’ont inspirée, et qu’ils décernent ce prix à un travail qui met en avant la RDC me rend également très fier. »
Il ne reste plus qu’à souhaiter bon vent à Léonard Pongo et à tous les lauréats de cette 12ème édition de la biennale africaine de la Photographie, pour que d’autres succès se présentent sur leur route dans les années à venir.
Astrid Sokona Lepoultier