1973. Gamma bat son plein. Nous vivons une aventure incroyable, avec notre nouvelle façon de faire du reportage nos parutions sont partout et nous avons régulièrement toutes les couvertures des grands magazines internationaux de news. L’idée d’Hubert qui est de faire partager à part égale les frais et les recettes entre les photographes et l’agence, nous offre à nous, photographes, une grande liberté d’action et un grand réconfort économique. De plus Hubert est un gestionnaire extraordinaire et intègre. C’est la première fois que je reçois un chèque tous les mois, avec un relevé qui m’indique le nom du journal et pour combien et dans quel pays mon reportage a été vendu. C’est un soulagement immense je peux enfin vivre de mon travail et ceci sans avoir à taper à la porte d’un comptable et le supplier d’avoir une avance pour payer notre loyer. C’est la fin des enveloppes louches dont on ne savait pas à quoi cet argent correspondait. Ça personne ne l’avait fait avant Hubert.
Nous sommes devenu un vrai business. De plus le marché nous est favorable nous obtenons d’énormes sommes à Paris qui à cette époque est la capitale du photojournalisme. Eliane a ouvert le bureau New Yorkais et obtient des prix d’or pour nos exclusivités et assure des garanties aux photographes qui partent en spéculation sur des sujets de leur choix.
Les événements mondiaux sont en perpétuelle éruption : Le Vietnam, les guerres civiles en Afrique, les troubles en Irlande, la révolution à Cuba, et les meurtres en série aux États-Unis Bob Kennedy, Martin Luther King, et pour moi correspondant de Gamma aux États-Unis je suis au paradis d’un photographe. Les sujets abondent : la libération des femmes, les droits civils, les problèmes des fermiers, la crise pétrolière, les stars mondiales de passage à New York, l’explosion des mœurs, les hippies, la drogue la libération sexuelle je le répète je suis au paradis d’un photographe car je peux photographier en toute liberté, sans me soucier de mes ventes et de mes revenus.
Nous en rêvions tous, devenir nos propres rédacteurs et ne devant rendre de compte à personne.
C’est à Hubert que l’on doit ce confort matériel, je ne dirai jamais assez combien le travail en spéculation me convenait. Je détestais travailler en commande, je voulais faire mes histoires sans avoir à me soucier des rédactions ni de la vente de mes photos, juste travailler…
Merci Hubert !
Mais voilà que les nuages apparaissent, il y a du grabuge entre les associés. Je suis atterré, on parle de séparation et Hubert m’annonce son départ !
La situation se dégrade et les photographes de Paris m’appellent et me demandent ce que je vais faire. Pour moi, comme pour Eliane, il n’y a pas une hésitation, c’est avec Hubert que nous voulons être.
J’arrive à Paris, ou les deux camps sont formés. Et c’est en “commando“ que nous retirons nos archives pendant une nuit du siege de la rue Vacquerie où nous mettons tous nos negatifs, contacts et diapos dans la voiture de Christian Simonpietri qui va du reste refuser de démarrer au petit matin…
Eliane ira très loin dans sa décision : comme le bureau de New York lui appartient juridiquement elle est seule maître à bord et décide de dire aux associés que nous partons avec Hubert. Décision très importante car le chiffre d’affaire sur les États-Unis est devenu une part considérable du chiffre d’affaires global de Gamma. Les associés sont sans voix…
Eliane et Hubert ont pendant les quatre ans de Gamma, travaillés ensemble d’une façon parfaite. Tous les deux travailleurs acharnés, ils s’appellent tous les jours et sont toujours d’accord sur les grandes décisions. Malgré des engueulades mémorables ils sont toujours arrivés à s’entendre parfaitement professionnellement. Impossible pour Eliane qui peut être aussi difficile et exigeante qu’Hubert de travailler avec quelqu’un d’autre.
Aujourd’hui cela peut paraitre ridicule mais ce qui ne l’était pas, c’était notre décision sans appel de rester avec Hubert.
C’est en 1957 que j’ai connu Hubert à l’école des Arts et Métiers de Vevey en Suisse dans la section photo, Hubert a deux ans d’avance sur moi, il est donc en année terminale mais c’est déjà un grand organisateur il est en charge du magazine de l’école Prisme, et en plus c’est lui qui va organiser le bal de fin d’année. Je connaissais donc depuis longtemps son honnêteté, son intégrité et son sens de l’organisation. Et nous n’avons pas hésité à le suivre dans l’aventure Sygma.
Notre décision d’alors était sans appel et nous n’avons jamais regretté notre choix. Nous avons vécu ensemble une aventure extraordinaire. Notre vie professionnelle avec Hubert à été doublée d’une vie amicale et aujourd’hui Monique et Micha font partie de notre famille. Je pense à eux deux en ce moment si douloureux. Mais je pense à Hubert grâce à qui ma vie professionnelle a été une explosion de succès et de satisfaction,
Hubert : si je ne t’avais pas rencontré, ma vie n’aurait pas été la même :
Thank you my friend !
JP Laffont, 21 Nov 2020