Il nous a quittés tôt ce matin.
Hubert Henrotte n’est plus. De ce monde, dont il aimait tant suivre la bouillonnante actualité, les révolutions, les catastrophes climatiques les faits divers, pour toujours les traduire en images grâce au regard percutant des excellents photographes qui étaient sa vraie famille de cœur et d’esprit.
Michel Puech l’a brillamment rappelé*. Avant d’être le président–fondateur des plus grandes agences des années 90 ,Gamma d’abord et Sygma ensuite, le jeune photographe du Figaro était déjà habité par une constance de vie : donner au métier de photojournaliste toute sa raison d’être, sa dignité et ses lettres de noblesse.
«HH » comme confraternellement appelé, aurait pu déjà faire sienne cette devise de Churchill : « On vit de ce que l’on obtient, on construit sa vie sur ce que l’on donne »
Car Hubert Henrotte s’est donné corps et âme à une passion demeurée intacte, pour toujours avoir l’impression de rester acteur de son époque jusqu’à publier en juin 2019 son ultime ouvrage « Le photojournalisme peut il encore sauver la presse ? » avec la complicité de Floris de Bonneville ex-rédacteur en chef de Gamma. Finies les guerres d’antan ! Jean Monteux qui lui succéda à la tête de l’agence Gamma –se souvient encore de leurs soirées communes dès 21h dans les locaux désertés – seuls tous deux, au 4 de la rue Auguste Vacquerie, à couper les films –à mettre sous cache les diapositives et veiller aux expéditions.
A l’image – c’est le moins qu’on puisse dire – d’un profond respect de Jean Monteux qui ne veut garder que les bons cotés de celui qui allait devenir son concurrent direct tout en privilégiant leur complicité de pionniers. Il s’étonne encore du sens caché de l’humour très à froid, que pratiquait « HH ».
Loin de toutes les caricatures, parfois méritées tant le personnage d’Hubert devenu « historique » prenait le pas sur la vraie personnalité généreuse d’un professionnel mondialement reconnu à travers le renom de Sygma .
L’ensemble des photographes le soulignent : HH était toujours prêt à leur donner tous les moyens pour partir en reportage en partageant le défi d’être les premiers sur tous les « coups » possibles!
Afin d’avoir l’immense satisfaction de feuilleter chaque semaine dans Paris Match, Time, Newsweek, Stern et autres hebdomadaires, les pages créditées des noms de Gilles Caron, du temps de Gamma, puis des Henri Bureau, des Jacques Pavlosky, des Christian Simonpietri, des Jacques Langevin, des Patrick Robert, des Alain Noguès, Keller ou Dejean, des Diego Golberg, des Patrick Chauvel, des Jean-Pierre Laffont et tant d’autres…
En y associant son épouse , Monique Kouznetzoff en charge des prestigieux « people » et Eliane Laffont à New-York – sa complice de toujours, qui ne se laissait jamais ni manipuler, ni mener – leur amitié étant déjà gravée dans le marbre du temps écoulé, et toujours aussi exceptionnelle dans ses productions américaines.
La concurrence était quotidienne, viscérale même, entre agences notamment avec Gamma et Sipa, et Hubert dissimulait mal parfois la fierté des exclusivités réussies par « ses » photographes. Tous lui reconnaissent le mérite de les avoir aidés à l’aune d’une brillante carrière, comme le souligne avec émotion toujours très vivace Alain Keler : « Sans lui, sans Hubert jamais je n’aurais pu avoir le pied à l’étrier, réussir dans ce métier ».
« Unique dans son genre, foncièrement honnête était Henrotte , raconte Raymond Depardon rappelant qu’« HH » avait en quelque sorte sacrifié sa propre carrière de photographe pour mettre son sens de la photo, et de l’organisation au service de la corporation ». Une génération de photojournalistes était dans le besoin d’être organisée, rassurée, précise le réalisateur et photographe :« Henrotte l’a fait ».
Le «patron » de Sygma était autant que l’homme, certes à multiples facettes, « fermé et dur en apparence mais en vérité fragile et tendre » témoigne Patrick Robert.
La fumée de ses cigares n’était souvent que l’écran protecteur, derrière lequel Hubert Henrotte tendait à masquer, bien avant l’heure, une réelle pudeur, voire même une inattendue et surprenante timidité.
Et un sens de solidarité exemplaire qui émeut encore – à ses débuts chez Gamma, Sebastiao Salgādo. Il raconte combien étant « de pool » le 14 octobre 1977, après une exclusivité mondiale avec le Roi des Belges, et dans l’impossibilité de transmettre la moindre image – après avoir omis de charger son bôitier –, HH fût le seul à le comprendre et l’excuser, face à l’impatience des rédactions -en-chef concurrentes.
Assis dans son bureau, comme au balcon de la presse mondiale, il y avait en « HH » quelque chose d’un vrai Churchill à la française. Dans l’acharnement, l’opiniâtreté, avec lesquels il s’est toujours battu et débattu pour défendre et l’existence et l’honneur d’une profession aujourd’hui dans la tourmente d’une crise généralisée de la presse.
Imaginons un instant une rencontre virtuelle entre ces deux figures monstres – une fois leur canne posée et cigare à la main – ils se seraient servi un royal whisky, pour entendre les propos de Wilson Churchill : « Le succès n’est pas final, l’échec n’est pas fatal, c’est le courage de continuer qui compte ».
En ces temps mémorables, il est bon de rappeler le visionnaire qu’il fût, à la création des agences pour laisser place à la légende, parfois sinueuse mais justifiée du grand homme de presse que restera Hubert Henrotte.
Alain Mingam, 20 novembre 2020
* « www.a-l-œil .info »