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Hervé Guibert –par Yvonne Baby

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« En 1977, je dirigeais le service culturel du Monde. Pendant l’été, un article signé Hervé Guibert parut dans le quotidien. Il y racontait son expérience au Gueuloir du Festival d’Avignon, c’était son premier essai, je l’avais remarqué.
Un jour d’automne, nous nous rencontrons dans un café en face du Monde, rue des Italiens. Il aimerait travailler au Monde. Je lui demande s’il connaît la photographie. Non, répond-il, ce qui n’était pas tout à fait la vérité. Tant mieux, lui dis-je, vous allez essayer de faire des notes sur la photographie.
J’ai pensé qu’il serait un révélateur de notre service. L’image lui convenait, je l’ai senti dès notre première rencontre. Sa présence changeait quelque chose dans l’atmosphère, il était comme une apparition. Plus tard, il serait l’ami de la famille qui sonnait à la porte, un dimanche après-midi, avec une charlotte aux fruits rouges pour les enfants.
Tout de suite, j’ai trouvé qu’il ressemblait à un personnage de Pasolini, à l’un de ces mauvais garçons qui sont aussi des anges. Et à cet ange un peu boudeur de Piero della Francesca à Arezzo. Il avait à la fois le regard d’un homme et d’une femme, toujours en alerte, il distinguait l’ensemble et le détail. Il me donnait un sentiment de poésie, il métamorphosait la réalité, en imposant son propre rythme du monde. Nous étions tête contre tête comme les joueurs de cartes de Cézanne. Il avait une passion, l’écriture.
Je pouvais l’envoyer n’importe où, interviewer un cinéaste reconnu ou une danseuse aux Folies-Bergère. Hervé a contribué à tout avec la modestie des vrais journalistes. Il n’a jamais changé de comportement, c’est une vertu. Comme les poètes et les anges, Hervé possédait une extraordinaire juvénilité. Il n’avait pas une beauté immobile, il rayonnait.
Quelques jours avant sa disparition, nous buvons du thé dans des tasses translucides qui ont la pâleur de son visage. Nous parlons de sa mort, de ses dernières dispositions, comme s’il était déjà étendu dans la chambre à côté. Il a pris soin de conserver intacte l’esthétique de sa vie, comme un rimbaldien. Son souci d’esthétique était impressionnant, étrange même, c’est ce qui l’a poussé vers la photographie. Dans ses textes, il tentait de réunir l’acte de vivre et l’acte de mourir.
Il bougeait dans sa totalité, comme Glenn Gould à son piano.
Il était romanesque.
Il aimait le bleu marine et les chaussettes rouges.
Il avait une voix légèrement rauque.
Il prenait autant de soin à parler qu’à écrire.
Il offrait des cadeaux, des fleurs, des cartes postales, une écharpe, un tableau, il était attentionné.
C’était un ami formidable, vraiment. »

Yvonne Baby, journaliste et écrivain. Ce témoignage est tiré du livre de Brigitte Ollier, Hervé paru aux éditions Filigranes en 2011.

Jusqu’au 10 avril
Maison Européenne de la Photographie
5/7 rue de Fourcy
75004 Paris

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