Hervé Guibert photographe, qui fut surtout écrivain bouleversant et brillant critique photo (Le Monde, à partir de 1977), arrive officiellement aux Etats-Unis, dans une sobre mais première vraie exposition. Quel meilleur endroit que le Lower East Side, berceau des subcultures et de la scène homosexuelle dans les années 80, pour présenter la cinquantaine d’images qui la compose ? Hervé Guibert, plus de vingt ans après sa mort, arrive ainsi un peu chez lui. Là où il aurait sûrement voulu être exposé de son vivant, là où peu de galeries ont encore aujourd’hui élu domicile, tellement le quartier reste populaire et sous le joug du déchainement de la nightlife new-yorkaise. C’est Callicoon Fine Arts, espace inconnu de la sphère photographique car non spécialisé, qui présente son œuvre, mêlée à la cacophonie de Delancey Street, aux bars tendance, et introduite à une audience venue surtout écouter quelques passages du Mausolée des amants, traduit pour la première fois en anglais.
Écho à la poésie de l’intime, les photographies sont ici porteuses d’une atmosphère douce et apaisante, qui se révèle singulière dans chacune d’elles. Ce sont tantôt les matières qui la dominent, à travers les objets personnels d’Hervé Guibert, tantôt les regards, ceux de ses proches autant que les siens, dans plusieurs magnifiques autoportraits. Tous, les hommes comme les natures mortes, trahissent la présence bienveillante de Guibert, cette manière délicate qu’il a de toucher avec les yeux, de vouloir montrer avec passion les détails de sa vie. Il y a autant de masculins que de féminins. Mais les premiers sont souvent dénudés, voire observés au plus près du naturel : des torses, des mains, des pieds, un sexe en érection, fascination universelle. Les femmes, elles, peuvent aussi se montrer charmeuses, comme Agathe Gaillard, dont les petits seins sont découverts, ou Isabelle, allongée, mains liées, veste élégante et regard brûlant.
Référence à la peinture classique, certaines images sont de vraies icônes, comme ce cliché de corps fumant (Sienne, 1979) ou ces autres allongés sur un lit et un fauteuil (Hans Georg et Thierry à Montecatini, 1983). D’autres manient l’esthétique du flou, dont Autoportrait de date et lieu totalement oubliés, 1990, cliché qui, avec ces légendes manuscrites, rappelle indéniablement le style de l’Américain Duane Michals, auquel Hervé Guibert avait consacré plusieurs écrits étincelants. Le premier, intitulé La nécessité du contact, a été écrit en 1978 à l’âge de 23 ans. C’est ce baiser photographique cher à Michals comme à Guibert qui illumine les photographies de cette exposition, véritables caresses de l’existence. Au mieux, elles sont à observer en récitant des passages de ses livres, comme dans un film de textes et d’images fixes, figées dans le temps, le temps d’une histoire personnelle qui se terminera dans le drame de la maladie.
EXPOSITION
Hervé Guibert
Jusqu’au 25 juillet
Callicoon Fine Arts
49 Delancey Street & 124 Forsyth Street
New York, NY 10002
T: 212.219.0326