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Helmut Newton, l’interview de 1975

En 1975, jeune journaliste à PHOTO, j’ai eu l’extrême privilège qu’Helmut m’accorde une longue interview. Il venait de se remettre de son accident vasculaire à New York qui allait bouleverser sa vie. Il m’a reçu de longues heures avec June dont on ne soulignera jamais assez le rôle essentiel qu’elle a joué rue Aubriot dans leur appartement parisien. 30 ans plus tard, pas une ligne n’est à changer.

Interview de Jean-Jacques Naudet, PHOTO, n°92, mai 1975

Chacune des photos d’Helmut Newton se caractérise par une mise en scène, un décor, une atmosphère immédiatement reconnaissables.

Chacun des reportages (pour Vogue, Oui, Playboy, Marie-Claire ou Nova) de cet Allemand d’origine.
Australien par nécessité et Français d’adoption, est une fête de l’imagination et de l’esprit. Helmut Newton est actuellement le maître incontesté de la photographie de mode et de beauté.
Preuve en est sa récente exposition qui s’est tenue à la Galerie Nikon et qu’il a préparée en même temps que la présente sélection.
Exposition-rétrospective de ces deux dernières années d’images, foisonnement étincelant d’érotisme. de sensualité, de provocations et d’idées… Chantre du « monde, du demi-monde, de l’artificiel et du superficiel», Helmut Newton est un personnage entier, intransigeant, qui s’accepte pleinement.
ll offre un exemple rare d’accord parfait entre fantasmes et photographie, cette maladie nécessaire, cette profession de foi absolue, ce support indispensable de la création. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il nous éclaire en termes abrupts sur sa démarche artistique…

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Depuis deux ans, vous semblez être au mieux de votre forme et votre réputation ne cesse de croître. Y a-t-il une explication à cet épanouissement ?

Helmut Newton

Oui ! Un infarctus du myocarde, le 12 décembre 1971, à New York. Ce jour-là, je suis tombé soudainement dans Park avenue. A mon réveil à l’hôpital, j’étais à moitié paralysé, incapable de parler et d’écrire. Il est inutile de dire que quand on sort vivant de cette expérience, on prend un certain nombre de bonnes résolutions. J’ai changé radicalement ma façon de vivre et de travailler, jusque dans les moindres détails. Je fumais cinquante cigarettes par jour, je n’en ai pas touché une depuis.

Je m’étais conduis, vu mon âge, comme un jeune homme inconscient. J’ai cessé toutes les folies. Un exemple : en septembre 1971, trois mois avant mon accident, j’ai photographié les collections à Rome. J’adore cette ville. Deux fois par an, à cette occasion, tous les photographes du monde entier s’y retrouvent et s’amusent des nuits entières. Résultat : en six jours, j’ai dormi dix-huit heures et j’ai recommencé le même cirque la semaine suivante pour les collections de Paris.

A ma sortie de l’hôpital, j’ai tout remis en question. Finis, les travaux inutiles et les compétitions effrénées !
Je ne photographie plus aujourd’hui que ce qui me rapporte de l’argent ou du plaisir. Hors de ces deux considérations, point de salut !

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Est-ce à l’infarctus que l’on doit les changements d’inspiration de vos images, et notamment l’éclosion de cet érotisme violent et provocateur?

H.N.

Je crois que oui. A l’hôpital, pour la première fois, j’ai réalisé des photos pour moi-même. Durant ma convalescence, j’ai fait l’acquisition d’un petit appareil compact à exposition électronique et automatique. J’enregistrais tout, les visiteurs, les infirmières, les docteurs c’était peut-être pour détourner mon attention de la maladie. Jamais auparavant je n’avais réalisé de photos personnelles. Des voyages merveilleux accomplis, des mannequins sublimes rencontrés, il ne restait rien, pas le moindre cliché. Quand, après dix jours de diagnostic réservé, le docteur m’a dit : « Vous allez vivre, mais soyez prudent», je me suis juré de réaliser toutes les images dont j’avais envie. L’année qui suivit mon infarctus, j’ai abandonné la mode et j’ai fait du nu, rien que du nu. Très vite, cela m’a paru encore plus ennuyeux que les chiffons.

Je suis revenu à la mode avec enthousiasme, ayant acquis néanmoins dans le nu une expérience nouvelle. Pour moi-même alors, j’ai commencé à réaliser ce que j’appelle des portraits érotiques. Vous en avez publié certains de Charlotte Rampling et de Suzie Weiss. Ce sont des nus ou semi-nus, toujours en noir et blanc. La plupart des modèles à qui j’ai demandé de poser pour moi ont accepté.

Ils ont confiance. Ils savent que je ne vais pas montrer d’eux des choses horribles. Je ne dis pas pornographiques. Cela peut être très beau; la pornographie. Les œuvres d’Allen Jones baignent dans la pornographie et pourtant elles sont admirables. La discrimination entre érotisme et pornographie m’exaspère. Cela me fait songer à l’opposition bon et mauvais goût. Je hais le bon goût. C’est un mot ennuyeux qui étouffe tout. Non ! Quand je parle de choses horribles, je veux dire : offense et irrespect envers le sujet photographié.

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Que vous a apporté cette incursion d’une année dans la photographie de nus ?

H.N.

Une vision nouvelle, une expérience élargie. Il est impossible de réaliser toujours les mêmes images, comme il est mortel de travailler uniquement pour le même journal. Aujourd’hui, je m’ennuie très vite. Il faut que mes images m’amusent lors de leur réalisation. La mode, pour moi, n’est pas de l’illustration, mais une idée à mettre en scène. La vraie mode, la haute couture j’entends, est morte à deux exceptions prés : Mme Grès et Saint-Laurent. Je refuse, dorénavant, de faire les collections. Travailler durant six nuits de une heure à sept heures du matin pour photographier quatre robes vilaines et importables, non, merci ! J’ai mieux à faire aujourd’hui. Le prêt-à-porter est plus drôle, plus inspiré que la prétendue haute couture. Pour en revenir à mon expérience du nu, je crois que j’ai appris à l’intégrer dans mes images de mode. Je ne photographie pas des filles de dix-sept ans au corps superbe, je photographie des jeunes femmes de trente ans, au corps parfois imparfait, mais au visage intéressant.

L’érotisme, pour moi, c’est le visage. Pas le sexe. C’est un vieux cliché que d’affirmer que l’érotisme est le contraire du nu intégral, et pourtant c’est tellement vrai !

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Vous photographiez toujours le même genre de fille, style «society girl» ambiguë et perverse…

H.N.

Pour moi, une bourgeoise est plus érotique qu’une coiffeuse ou une secrétaire. Rien, dans ces mots, n’est péjoratif ; c’est un constat. La classe, l’élégance, l’éducation, l’environnement sociologique sont des facteurs auxquels je crois. J’ai parfois mauvaise conscience, mais c’est ainsi. Une femme bourgeoise est sexy naturellement. Je hais quand tout est exposé en vitrine, cela fait bon marché.

Au contraire, j’adore quand il faut aller fouiller à l’intérieur. J’aime donner l’idée que les femmes que je montre sont disponibles. Elles le sont en réalité. Leur disponibilité dépend simplement du temps et de l’argent que l’on veut y mettre…

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En somme, vous placez aujourd’hui vos propres fantasmes dans vos images.

H.N.

Exactement. J’ai réalisé pour le magazine Oui une série de photos qui montrent une femme qui se promène, nue, sous un manteau de fourrure, dans des endroits aussi divers que le métro, une galerie de peinture, l’île Saint-Louis, une voiture sur les Champs-Elysées, une rue de Paris. Je sais d’où viennent ces images : d’un fantasme de l’enfance. Quand j’avais quatorze ans, j’ai lu une nouvelle d’Arthur Schitzler intitulée Fraulein Else. C’est l’histoire d’un banquier qui vient de faire faillite. Il a une fille de dix-sept ans, très belle. Un homme propose à cette dernière de renflouer son père si elle descend une nuit dans le hall d’un hôtel, nue sous un manteau de fourrure. Elle hésite et s’exécute. Un soir, elle descend de sa chambre et tourne autour de l’homme en ouvrant son manteau. L’homme ne la touche pas et sauve son père. J’adore cette nouvelle écrite en l9l0 et follement audacieuse pour l’époque. Voilà d’où viennent ces images. Cela dit, la réalisation de cette série de photos fut très dangereuse. Il est interdit de photographier dans le métro sans autorisation et je crois que pour ce genre d’images, la R.A.T.P. n’aurait même pas daigné répondre. Je voulais également photographier sur un bâteau-mouche. Quand j’ai exposé l’idée à l’attaché de presse de la société, il a failli s’évanouir.
Alors, j’ai tout réalisé clandestinement. Nous avons commencé la série dans une somptueuse voiture conduite par un chauffeur et garée au coin de la rue de Berri et des Champs-Elysées, un jeudi à treize heures. La fille était nue et ne portait pour tout vêtement qu’une voilette.
Les badauds étaient sidérés…

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Vous aimez choquer et il y a parfois une pointe de vulgarité dans vos images.

H.N.

Une pointe ? Mais vous êtes modeste ! Mes photos sont empreintes de vulgarité ! C’est du mauvais gout et de la vulgarité que vient la création. En 1957, quand j’ai travaillé en Europe pour la première fois, pour Vogue anglais, la rédactrice en chef m’a donné une liste de choses a éviter longue comme le bras. Il n’y avait plus aucune photo possible. Dans un autre magazine où je continue de collaborer aujourd’hui, il y a deux rédactrices qui ont le même état d’esprit. Elles s’évertuent, avec une ingéniosité folle, à trouver les accessoires, genre foulard, sac chic, talons plats, vêtements amples, qui cachent le corps et me rendent ivre de rage. Elles choisissent systématiquement tout ce qu’un homme normal considère comme antisexuel. Ferais-je l’amour avec une fille vêtue ainsi? C’est la première question que je me pose lorsque je fais des photos de mode. Ces deux rédactrices ne comprennent pas cela. Leurs mères étaient ainsi, elles perpétuent la tradition. Le bon gout, c’est de l’anti-mode, de l’antiphoto, de l’antifille, de l’antiérotisme ! La vulgarité, c’est la vie, l’amusement, l’envie, les réactions extrêmes !

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Vous êtes néanmoins extrêmement distant, dans votre voyeurisme, face au modèle.

H.N.

Oui. Le voyeurisme en photographie est une maladie nécessaire, professionnelle. Regarder, capter, observer, viser, sont les lois de notre milieu. Le monde est totalement différent selon que je le regarde avec mes yeux dans le viseur. J’ai toujours un recul par rapport à ce que je vois dans mon appareil. II me sert d’écran.

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Vous utilisez beaucoup les piscines et les chambres d’hôtel comme décors…

H.N.

Parce que je suis paresseux. Quand je voyage, je déteste chercher des extérieurs. Je ne dépasse jamais un rayon de deux ou trois kilomètres autour de l’hôtel. De plus, j’aime les hôtels. C’est encore un autre fantasme d’enfance.

J’aime tous les hôtels. Du somptueux palace ancien, comme le Ritz, aux modernes bâtisses déprimantes, carcérales et froides. C’est pratique, un hôtel. II y a un service d’étage et cela coûte moins cher que la location d’un studio. j’ai même photographié deux fois dans un véritable hôtel de passe. Le propriétaire était réticent. Il ne cherchait pas la publicité. Enfin, il a cédé. Il me prêta une chambre, un jour creux, un dimanche naturellement. La deuxième fois, quand il me vit arriver avec le mannequin, mon assistant, la coiffeuse et son assistant, il s’exclama : « Vous êtes venus pour une partouze, ou pour faire des photos ? »

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Comment naissent vos images?

H.N.

D’après un cahier d’écolier où je note tout ce qui m’intéresse, et qui comprend trois rubriques : idées, filles, endroits. Si je n’écris pas, j’oublie. Toutes ces notes dorment, cheminent, se décantent, prennent forme, j’ai vu ainsi, cet été, sur une plage de Saint-Tropez, deux garçons et une fille qui vivaient ensemble, heureux. Le ménage a trois parfait. J’ai repris cette situation récemment pour une série de mode dans « Vogue » italien.

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Que fut votre enfance?

H.N.

Je suis né, il y a beaucoup plus de quarante ans, à Berlin, dans une famille bourgeoise et respectable. J’ai eu une enfance sans problème et j’adorais mes parents. A douze ans, mon père m’a acheté mon premier appareil. J’ai fait mes sept premières photos dans le métro. Naturellement, on ne voyait rien. La huitième est une image de la tour de radio de Berlin. Mes études furent déplorables. J’étais un cancre nullissime. A quatorze ans, comme les cours cessaient a cette époque à 13 h, je m’étais, en cachette de mes parents, fait embaucher l’après-midi comme assistant chez un photographe.

Cela dura six mois. Mes études devenant de plus en plus dramatiques, mon père me confisqua mes appareils et me boucla à la maison. A seize ans, mes parents n’avaient plus d’espoir. J’entrai alors comme apprenti chez un photographe portraitiste, célèbre à l’époque, qui s’appelait Yva. J’ai toujours voulu devenir photographe. A treize ans, je m’imaginais en imperméable, courant le monde au bras de créatures de rêve, au volant d’immenses voitures. A quatorze, je photographiais mes amies d’enfance dans les rues, vêtues de robes et chapeaux de ma mère. C’est à cette époque que je me suis juré d’être plus tard photographe de mode à Vogue.

Chez Yva, j’ai appris a utiliser les chambres grand format, surtout les 13 x 18. Yva avait notamment une merveilleuse chambre couleur à plaques. C’était une énorme boîte en acajou, très lourde, qui demandait un temps de pose d’une seconde, à midi en plein soleil. A dix-huit ans. j’ai quitté l’Allemagne pour l’Australie.

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Pourquoi?

H.N.

Mais parce que je suis juif, et qu’à cette époque, dans l’Allemagne hitlérienne, c’était une chose plutôt mal vue. La Gestapo a fait irruption, un jour de 1938, à la maison, et a arrêté mon père. Par chance, j’étais absent. Prévenu par ma mère, je me suis caché deux semaines chez des amis à Berlin, puis je me suis enfui. Je suis arrivé en Italie. J’ai embarqué à Trieste, débarqué à Singapour, puis je suis reparti pour Melboume, enfin.

J’ai fait les cinq années de la guerre dans l’armée australienne. Si, un jour, vous êtes forcé de vous battre, battez-vous dans l’armée australienne. Tout y est beaucoup plus décontracté, plus humain qu’ailleurs. J’ai commencé mon service comme chauffeur d’officiers, puis chauffeur de poids lourds et enfin photographe. Quand j’ai réalisé ma première couverture pour un magazine, « The Australian Post », j’ai couru la regarder dans tous les kiosques de la ville, les larmes aux yeux. C’était impossible de vivre de la photo de mode, en Australie. Alors, pour manger et survivre, je faisais les mariages.

Je détestais cela. Les confrères ouvraient les châssis de leurs concurrents pour effacer les images. Ce fut une époque insensée. C’est à ce moment que j’ai rencontré June qui, elle, était actrice de théâtre. Je photographiais alors avec une chambre 13 x 18 à plaques. L’obturateur était comme un store que l’on ouvre en tirant sur une ficelle. A cause de la retouche, il ne fallait utiliser que les grands formats. Même le 6 x 6 du Rollei était considéré comme trop petit. De 1954 à l957, j’ai travaillé pour « Vogue » anglais et je suis parti pour Londres. Jamais je ne pus m’adapter. Londres est une ville que je hais. Ce n’était pas encore l’époque des «Swinging sixties ». Mes photos étaient horriblement mauvaises. Un jour de 1958, j’ai débarqué à Paris, mon book sous le bras. Je suis allé voir Jacques Moutin, directeur artistique du « Jardin des modes», alors le meilleur magazine de mode français. Frank Horvat, Jeanloup Sieff, Marc Hispard et Jérôme Ducrot collaboraient alors au journal. Moutin m’a reçu et m’a dit : « Si vous vous installez à Paris, je vous donne du travail». Le rêve ! June et moi, nous nous sommes installés dans la meilleure chambre de l’hôtel Boissy d’Anglas. Elle nous coûtait dix-sept francs par jour à l’époque. Moutin n’avait qu’un seul défaut. Il ne décidait jamais immédiatement à qui il confierait un reportage. Il hésitait. June et moi avons passé des heures en face du « Jardin des modes », dans une pâtisserie de la rue Saint-Florentin, devant un café et un demi-croissant. Je faisais continuellement le va-et-vient. Qu’importe ! C’était merveilleux. Le jour où j’ai débarqué a Paris, ce fut le coup de foudre. Je savais que je m’installerais dans cette ville. En une semaine, je pouvais circuler dans Paris les yeux bandés. Au bout d’un an, je n’avais plus d’argent, je travaillais peu.

Les pages rédactionnelles de mode étaient mal payées et mes photos n’étaient pas bonnes. Je suis reparti en Australie, où j’ai signé un merveilleux contrat qui m’a rapporté énormément d’argent. En 1961, n’y tenant plus, June et moi avons tout vendu et nous sommes revenus nous installer définitivement a Paris. J’ai commencé à collaborer à « Voguie » français, puis a « Elle» dont Roman Sieclewicz était alors le directeur artistique. Une premiere tentative de collaboration a « Vogue» américain a échoué. La rédactrice en chef, Diana Vreeland, avait une conception extrêmement personnelle de la photographie de mode. Les femmes devaient être exotiques, baroques, invraisemblables. Tout a l’opposé de ce que j’aimais. Je crois qu’une femme habillée par Diana Vreeland ne pouvait pas sortir dans la rue sans provoquer une manifestation immédiate. Quand elle quitta Vogue, je recommençai a travailler pour eux, mieux cette fois. J’ai de bons rapports avec Alex Liberman, le directeur artistique et patron de Conde-Nast. Il choisit toujours, en ce qui me concerne, les meilleures photos.

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Techniquement, vous êtes un touche-à-tout. Il n’y a pas un appareil que vous n’ayez pas essayé?

H.N.

Oui, je cherche, j’essaye, j’expérimente, mais c’est une pratique banale.
Le domaine des appareils pour amateurs est plus large que celui des professionnels.
Pourquoi ne m’y intéresserai-je pas? La miniaturisation des boitiers et des flashes peut rendre de grands services. Tout mon matériel, actuellement, se compose de quatre boitiers, cinq objectifs, un flash, un Polaroïd et tout rentre dans une valise qui pèse dix-sept kilos et qui me permet de réaliser n’importe quelle photo, n’importe où, dans n’importe quelles conditions.

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Techniquement, quelle fut votre évolution ?

H.N.

J’ai commencé avec une chambre Graflex 4 x 5 inches super D, puis je suis passe au Rolleiflex. je n’aime pas l’Hasselblad, il est trop lourd et trop bruyant.
Ensuite, j’ai utilisé successivement le Nikon (en 1962, sur les conseils de Frank Horvat), le Konica, l’Olympes, l’Instamatic. Aujourd’hui, mon choix s’est porté définitivement sur Nikon et Pentax. J’ai eu récemment en mains le Leica CL. C’est un merveilleux objet, mais je n’arrive pas à l’utiliser. Je ne sens pas mes images à travers ce viseur. J’ai mis du temps à m’habituer au 24 x 36. Du Rolleiflex porté sur le ventre au Nikon à la hauteur des yeux, c’est une vision, une perspective très différente.

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Vous êtes un fanatique du Kodachrome II ?

H.N.

Oui, mais cette émulsion manque de sensibilité. Elle est encore trop « lente ». J’utilise parfois l’Ektachrome X, dans certaines conditions.

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Quels objectifs préférez-vous ?

H.N.

Celui qui est le plus long possible et qui me permet néanmoins de ne pas perdre le contact avec le sujet à photographier. Quand je photographie dans un hôtel ou en studio, j’ai toujours les fesses contre le mur. Je n’aime pas le studio. Je hais les fonds, je ne suis pas à l’aise en extérieurs. Je ne suis pas un bon technicien. J’étais très mauvais, j’ai fait quelques progrès depuis. L’automatisme m’a beaucoup aidé dans ce domaine. Je me suis construit une technique basée sur des moyens simples, si possible sans l’aide d’un assistant. Une partie importante de mon travail repose sur l’utilisation d’un flash.

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Sur le plan de l’image, comment évoluez-vous ?

H.N.

Vers la simplicité. Je veux continuer dans la voie de mes portraits mondains et érotiques. Je suis superficiel. Je préfère photographier Régine et Catherine Deneuve que n’importe quel savant ou écrivain. J’aime ce monde superficiel. Mes images ne sont pas profondes. Je ne suis pas un photographe engagé, témoin, concerné. Je ne suis pas doué pour cela. J’aime ce que l’on appelle le monde ou le demi-monde, celui qui est artificiel, beau, amusant. celui de Régine ou de Castel, celui des hommes de cinquante ans qui sortent avec des minettes de dix-huit ans. J’espère que ce monde-là ne disparaîtra pas. La semaine dernière, une dame du M.L.F., pas bête du tout, m’a attaqué dans un restaurant avec une rare violence, « Sexiste, réactionnaire », a-t-elle lancé. Moi, j’ai ri comme un fou. Je n’avais rien à lui répondre. Ce qu’elle pense m’indiffère et je ne vais pas changer pour plaire au M.L.F. Je photographie le monde que j’aime. Le monde sans argent, je le connais et il ne m’intéresse pas. Je préfère photographier les riches que les pauvres.
Ils sont plus drôles, peut-être sans le savoir, parfois ridicules, souvent beaux. Il est trop facile de photographier les pauvres.

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Quels sont les photographies qui vous ont marqué ?

H.N.

Penn, Avedon, le baron de Meyer, Steichen, Honeighen Hune, William Klein, Weege, Sander, Brassaï, Lartigue.

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Il y a un certain nombre de jeune photographes dont on peut dire qu’ils font du Newton; qu’en pensez vous ?

H.N.

Cela m’amuse énormément et j’en suis plutôt heureux. Il faut toujours, à ses débuts s’accrocher à quelqu’un que l’on aime. J’ai fait la même chose quand j’étais jeune. Nous copains tous à un moment ou à un autre de notre vie. Il suffit ensuite de s’en sortir et de prendre sa propre voie.

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Que détestez-vous en photographie ?

H.N.

La malhonnêteté, l’image dégueulasse faite au nom d’un principe artistique, le flou, le grain, la mauvaise technique.

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A un jeune garçon qui voudrait devenir photographe, quels conseils donneriez-vous ?

H.N.

Idéalement, d’être l’assistant du photographe de son choix. Mais un sur dix mille à peine peut réussir. Je crois qu’un jeune doit entrer dans un grand studio commercial pour se familiariser avec l’A.B.C. de la technique. Pendant ce temps, à chaque moment libre, il doit faire des images. Quand on veut être photographe, il ne faut vivre que pour cela.

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Que pensez-vous des directeurs artistiques ?

H.N.

La splendeur de leur règne est terminée. Leur influence s’est éteinte. Ils ont été remplacés par le directeur du magazine ou le responsable commercial. Ils n’ont plus aucun pouvoir de décision. La grande époque de la direction artistique est morte. Que reste-t-il actuellement ? Alex Liberman à « Vogue » Emile Laugier à « Marie-Claire », et Peter Knapp à « Elle ». Je n’ai jamais travaillé avec Knapp. Lors de son premier séjour à « Elle », il ne me trouvait pas assez bon, et aujourd’hui il veut des images différentes de celles qu’il me plaît de réaliser.

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Aimeriez-vous enseigner ?

H.N.

Oui, cela me passionnerait. Jeanloup Sieff, Peter Knapp et moi avons mis sur pied un projet que nous réaliserons peut-être un jour. Cela pourrait prendre la forme de cours restreints qui auraient lieu comme de vraies séances de prise de vues. Peut-être qu’un jour ?

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