Victimes de la ségrégation de l’armée américaine, 4 500 soldats noirs américains ont combattu durant la Première Guerre mondiale sous les couleurs françaises. En effet, comme l’écrit le journaliste Gaétan Mathieu (magazine France-Amérique), en 1917, le président des Etats-Unis Woodrow Wilson annonçait qu’aussi bien les ethnies blanches que noires se devaient de participer au combat en Europe. Pour la population noire, cette guerre devait permettre de prouver son patriotisme et son courage aux élites blanches, et ainsi faire progresser leurs droits sur le sol américain. Sur les 2,3 millions de Noirs américains inscrits au service militaire, près de 200 000 ont traversé l’Atlantique avec l’armée. Peu d’entre eux ont combattu, la plupart étant cantonnés aux services de ravitaillement. La première unité de combattants noirs a été celle du 369e régiment d’infanterie, basé à New York. Ces soldats n’ont pas porté les armes sous le drapeau américain mais bien sous l’uniforme français, les Etats-Unis refusant alors d’avoir des soldats noirs aux côtés des blancs dans les tranchées. La France, manquant cruellement d’effectifs, persuada les Américains de réquisitionner certaines de leurs troupes, parmi eux les désormais célèbres Harlem Hellfighters. 1 500 d’entre eux mourront au champ d’honneur en France, 500 seront décorés de la Croix de guerre française, 3 000 rentreront sains et saufs au pays. Leur histoire demeure aujourd’hui encore méconnue, à tel point que les livres d’histoire ignorent parfois leur existence.
Dans ces photographies d’époque, on les voit en premier lieu porter les fusils à baillonette dans les tranchées françaises et se tenir en rang, prêt au combat ou en position d’assaut. Contraste de ces hommes de couleur avec l’officier blanc, tous vêtus du casque Adrian de l’infanterie. Contraste, surtout, avec les images que l’on connaît généralement de la Grande Guerre. Nombreux sont ensuite les clichés qui dévoilent ces combattants tout sourire à bord des bateaux du retour, entourés de leurs proches, ou défiler lors des grandes parades qui ont suivi l’armistice, notamment celle de New York en février 1919. Lors de cet événement, ils porteront — une fois n’est pas coutume — la bannière américaine devant le Flat Iron Building et laisseront entrevoir leur blessures de guerre, comme ce soldat serrant la main de la foule sur la 5e avenue, à Manhattan. L’une des plus étonnantes images est certainement ce plan large sur une rue d’Aix-Les-Bains, laissant entrevoir les habitants de la ville savoyarde et, au milieu, le groupe de jazz des Harlem Hellfighters encourageant en musique les soldats se rendant au front.
Car si ces hommes se sont distingués par leur bravoure — plusieurs témoignages à l’appui —, les historiens s’accordent aujourd’hui à dire qu’ils ont contribué à l’apport du jazz en Europe. Parmi eux, citons le soldat James Reese Europe, personnage alors célèbre de la communauté noire de New York et premier musicien à avoir joué du jazz au Carnegie Hall, 12 ans avant George Gershwin, l’un des pionniers du genre. James Reese Europe sera nommé chef du groupe de musique des Hellfighters et parcourra plusieurs milliers de kilomètres sur les routes de France, trombone et trompette à la main. Il jouera à Paris avec ses compagnons, pour un concert unique : pour la première fois, les Français entendent cette musique originale que l’on commence tout juste à appeler jazz. Les frères Pathé feront même signer un contrat au groupe et c’est durant la guerre qu’il enregistra son premier disque.
Pour le centenaire de la Première Guerre mondiale, le consulat de France à New York a récemment rendu hommage aux Harlem Hellfighters et aux autres combattants noirs ayant servi sous l’uniforme français. On connaît certaines images des G.I. noirs américains de la Seconde Guerre mondiale, immortalisés notamment par la photographe Toni Frissell ou celles, nombreuses, de la guerre du Vietnam. Celles ci représentent au même titre une histoire de l’engagement militaire des Afro-Américains avant leur lutte pour les droits civiques.