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Gregory Crewdson –Sanctuary

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Sumatra après le passage d’un tsunami ? L’Aquila après un tremblement de terre ?  » Je n’y ai pas pensé « , lâche Gregory Crewdson, planté au centre de la galerie Gagosian, à Rome, où est présentée son exposition jusqu’au 5 mars. Elle a pour titre  » Sanctuary « . Ce fameux sanctuaire est décrit en quarante et une photographies en gris et blanc. Elles n’ont pas de titre. Mais elles ont été prises à Cinecitta, qui fut le plus grand studio de cinéma d’Europe, aux portes de Rome.

Les vues sont vides et désolées, ruinées. Habitué des mises en scène requérant des dizaines de techniciens, comme au cinéma, le photographe new-yorkais a opté cette fois pour une équipe et un matériel légers. Venu à Rome en juin 2009 sur les conseils du cinéaste Wes Anderson, qui y a tourné La Vie aquatique, il a métamorphosé Cinecitta en cité fantôme. Du décor en partie effondré de Gangs of New York, de Martin Scorsese, à celui de la série télévisée américaine de HBO,  » Rome « , Crewdson a photographié la partie cachée : échafaudages et tubulures. Maniaque du détail, il a exigé que les herbes folles dans les interstices de faux pavés des fausses voies romaines ne soient pas coupées.

 » J’ai été saisi par la beauté et la mélancolie de ces fausses ruines, explique Crewdson, comme un symbole du monde qui nous entoure. Nous vivons nous aussi un moment de grande fragilité où les empires s’écroulent pour de bon. Dans cet endroit, je me suis senti protégé, comme dans un sanctuaire. « 

Les dirigeants du studio étaient d’abord flattés d’héberger un photographe réputé. Mais, après avoir découvert sa vision mortifère, ils apprécient moyennement. Les images renvoient à l’histoire de Cinecitta, pas à son actualité. Né en 1937 de la volonté de Mussolini, le lieu incarne la nostalgie d’un âge d’or du cinéma. Sur les 3 000 longs-métrages qui y ont été tournés, quatre-vingt-dix ont été nommés aux Oscars. Federico Fellini, surnommé  » le maire de Cinecitta « , avait presque élu domicile dans le studio V. Charlton Heston habillé en Ben Hur faisait des tours de scooter dans les allées.
Le présent peine à exister face à l’épaisseur de la légende. Pourtant, le lieu, privatisé en 1997, a fortement changé. Pour accéder au bureau de Lamberto Mancini, le directeur général de Cinecitta Entertainment, la société qui a repris en main l’entreprise, il faut passer devant le traîneau de Louis II de Bavière dans le Ludwig de Luchino Visconti. C’est la seule concession à la nostalgie. Pour le reste, le doigt sur la télécommande de sa télévision, M. Mancini fait défiler les riches heures de Cinecitta sans paraître les regretter.

 » Les nouveaux propriétaires sont venus me chercher parce que je ne venais pas du cinéma et que je n’étais pas romain « , raconte cet homme de 50 ans, alpiniste chevronné. Ces nouveaux actionnaires (Luigi Abete, Diego Della Valle, Dino De Laurentiis, la famille -Haggiag) sont réunis au sein de -l’Italian Entertainment Group, une holding qui possède également les anciens studios de Roberto Begnini en Ombrie, où il a tourné La vie est belle, les ex-studios De Laurentiis dans le Latium et une implantation à Ouarzazate (Maroc).

Avec cette nouvelle équipe, Cinecitta s’est diversifié, devenant une marque symbole de savoir-faire dans le domaine de l’image, du décor et du divertissement en général. La moitié des vingt studios sont occupés par des plateaux de télévision. On tourne des publicités sur le décor de la Rome antique, lui-même situé à une centaine de mètres de la maison des fannulloni (bons à rien) du  » Loft Story  » italien.

Cinecitta vendu à la télé ?  » Ce n’est pas la télévision qui a tué les studios, s’insurge Lamberto Mancini. C’est le cinéma italien qui n’y vient plus. Dans les années 1950 et 1960, l’Italie produisait près de 300 films par an ; aujourd’hui, on est à moins de 100. Et 90 % de ces longs-métrages ne sont pas tournés ici. Nous n’y sommes pour rien. «  La crise du pays n’arrange rien : la détaxation offerte aux productions qui réinvestissent 25 % de leurs bénéfices en Italie est menacée par le plan de rigueur en cours.

Voilà pourquoi Cinecitta a dû se reconvertir dans la postproduction, le doublage, la digitalisation. Ici un technicien restaure la copie d’un vieux film de Toto en 3D ; là un autre passe au crible les premières images du prochain Nanni Moretti, Habemus papam. Tout est à vendre : l’image quand il s’agit d’organiser des conventions d’entreprise dans les vieux studios et l’expertise pour l’aménagement de magasins. Un hôtel de luxe et des bureaux vont être construits sur une partie des 40 hectares du site.

Autre projet : la création de Cinecitta World sur le modèle de Disney World. Un parc à thème qui ouvrira au printemps 2012, au sud de Rome. Investissement : 500 millions d’euros. La  » mise en scène  » en a été confiée à Dante Ferretti, le décorateur de Fellini.

L’époque où, comme le disait la légende, on arrivait à Cinecitta avec un scénario sous le bras pour en ressortir six mois plus tard avec les copies de son film est révolue. Si le cinéaste Pupi Avati apprécie encore de s’y enfermer pour tout un film, ses collègues y passent presque en coup de vent.
En 2010, Julia Roberts est venue pour le tournage d’un spot publicitaire pour le café Lavazza. A peine une journée…

Article paru le 25 février 2011 dans Le Monde.
Philippe Ridet, Correspondant du Monde à Rome.

 » Sanctuary « 
Jusqu’au 5 mars
16, via Francesco Crispi 00187 Rome.

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