Quarante ans après sa première édition, Powerhouse Books republie Idols, le livre phare du photographe Gilles Larrain. Une œuvre dont l’influence est aujourd’hui à revisiter.
Idols est une ode à l’excentricité. Celle même qui, imaginée puis convoitée par les yeux du monde, engendre la créativité déconcertante d’une ville faite d’exceptions: New York. Après avoir posé son objectif sur nombre de célébrités, telles que John Lennon ou Salvador Dali, Gilles Larrain l’a détourné en 1971 sur la société des homosexuels, transsexuels ou travestis, alors méprisés voire oppressés. Une « foule », car à l’époque l’opinion les distingue du peuple, qui par son anticonformisme et ses tenues vestimentaires délurées loue les vertus sociales de la fantaisie et du spectacle. C’est donc en victimes d’une majorité inapte à entrevoir une essentielle émancipation que le photographe a accueilli ces « beautiful freaks » dans son studio de Soho durant plus d’un an. Là, avec une passion bienveillante, il les a fait poser, jouer, s’émouvoir ou s’exprimer dans toute leur splendeur.
Dans leurs apparats bariolés, dont le maquillage forcé, les paillettes étincelantes ou les masques d’animaux sont des indispensables, certains se muent en stars de cinéma ou en icones de la mode. La fourrure et les dentelles font du charme tandis que les chaines, les perles ou les miroirs affirment un peu plus un mouvement à l’image prisonnière mais en quête de tolérance. Les textures s’emblent elles s’embraser sous l’effet de la saturation enrichie des couleurs. Lorsque ces créatures d’un jour, ou de toujours, ôtent leurs costumes, c’est pour déposer en offrande un corps nu enduit d’un camouflage argent ou or flamboyant, dont la posture se garde de révéler un quelconque sexe et jouant ainsi avec l’imaginaire. Au milieu de ce défilé explorant les styles et les époques, d’autres partisans de cette nouvelle libération offrent simplement leur visage en guise de document. Une photo témoin garante d’une dignité et d’un esprit en éveil.
C’est justement ce qui a attiré Ryan McGinley, artiste lui plus contemporain que Larrain. En 1998, flânant dans le loft de son ami Jack Wall – un endroit qui porte alors les marques de 20 années de bohème – le jeune photographe tombe sur Idols et est littéralement aspiré. En hommage à ce travail inspirateur, il écrit dans l’avant-propos de cette réédition : « Ce livre portait pour moi l’histoire de New York et d’une subculture qui éveillait ma curiosité. Mon grand frère se travestissait souvent et il est mort du SIDA quatre ans avant que je découvre Idols. Ces photos m’ont restitué quelques souvenirs de lui et de ses amis. Ces gens étaient de réels outsiders, ce n’étaient pas les superstars de Warhol que l’on voyait partout. Idols est un ouvrage que je rouvre constamment. » McGinley a par la suite appris, comme beaucoup, que ses photographies devait se nourrir de cette association entre naturel et sophistication. Car, il faut bien se le dire, cette relation entre artiste du regard et artistes de la représentation n’est pas qu’un jeu.Idols forme surtout une série de photographies au caractère anthropologique indéniable. Et s’il fallait retenir une sagesse dans ces images, on choisirait nul doute leur capacité à créer une brèche dans la rigidité du jugement courant. Pour un abonnement à la différence.
Jonas Cuénin
Idols
Réédité chez Powerhouse Books (édition originale – 1973)
104 pages, 90 photographies couleur, $35