La quatorzième édition du Festival International de l’Image de Getxo se tient du 3 au 27 Septembre ; ce sera le premier orchestré par Jon Uriarte, le nouveau directeur artistique. Impressions et rencontre.
La belle ville de Biscaye, satellite côtier de Bilbao, accueille donc pour la quatorzième fois des œuvres d’artistes venus de nombreux pays, à défaut de pouvoir recevoir l’ensemble des artistes eux-mêmes pour cause de pandémie. La thématique « dans la rue » choisie cette année par le nouveau commissaire d’expos offre l’avantage d’être tout à fait liée aux troubles de notre époque et ouverte à interprétations, ce dont les artistes sélectionnés ne se sont pas privés ; thématique aussi illustrée cette année par le fait que la quasi totalité des expositions est en extérieur, comme souvent à Getxo.
L’impressionnante installation des bâches géantes sur le front de mer fait toujours son petit effet. Nous retrouvons la volonté affirmée d’occuper l’espace public le temps du festival et de s’installer au plus proche de la population. Michael Wolf, disparu en 2019, qui a saisi sous une sombre picturalité les voyageurs du métro de Tokyo dans leur solitude, partage cet espace avec Ilyes Griyeb, faisant contraste avec ces portraits pleine lumière de travailleuses et travailleurs d’une exploitation fruitière Marocaine, arborant un mélange d’habits traditionnels autant que de modernes, métaphore vestimentaire d’une superposition culturelle.
Le travail de Sohei Nihino se veut une vision sensible et personnelle des villes où il s’est rendu. Multipliant les prises de vues pendant ses déambulations, il reconstruit les formes et les géographies des lieux avec son propre ressenti. A l’issue d’un travail de collage dantesque cela donne d’immenses panneaux cartographiques qu’il a fallu réduire dans des formats pouvant être exposés, nous rappelant que, tout comme une ville, une œuvre est d’abord une construction
Deux jeunes photographes, Thaddé Comar 27 ans et Felipe Romero Beltràn 28 ans, traitent plus précisément de la thématique sociale liée à « la rue » en évitant la complaisance. Le premier a passé deux mois immergé dans les manifestations de Hong-kong et en a tiré une série bien plus proche du documentaire d’auteur que du simple reportage. Il met en relief et ce, de manière esthétique mais jamais esthétisante, tous les moyens technologiques mis en œuvre par la police pour lutter contre le soulèvement, autant que leurs détournements inventifs imaginés par les manifestants, offrant au spectateur un recul opportun sur la situation. Un livre est à paraître, il sortira fin Octobre chez Morel Books éditeurs à Londres.
Avec Reducción Felipe Romero Beltrán s’inspire du manuel de défense de la police de rues. Reproduits en studio par des figurants qui ne sont autres que des migrants simplement vêtus de pantalons de costumes et de chaussures noires, les gestes et techniques de combats deviennent des chorégraphies surréalistes, qui grâce au décalage du détournement rendent quasiment loufoques les documents policiers d’origine.
Beaucoup d’autres choses à voir cette année, proposées par l’équipe toujours aussi enthousiaste de Jokin Aspuru, son directeur : La correspondance visuelle pendant le confinement de Raisa Galofre et Eva Gjaltema, exposée sur le bâtiment de la Poste de getxo. La modélisation en 3D (téléchargeable) de la colonne de l’indépendance à Mexico cité par Julieta Gil, monument emblématique de l’espace public ornés de tous côtés par des graffitis dénonçant l’insécurité des femmes dans le pays. A voir aussi « encounter » de Silvia Rosi et « La puente » de Charlotte Schmitz dans les conteneurs du puerto viejo ; « Les intruses » de Randa Maroufi, George Georgiou et ses Americans Parade, Agnieszka Sejud, Mentalgassi, The estampa group, Esther Hovers, le collectif Fragmentin etc … retrouvez le programme complet ainsi que les activités annexes du festival sur le site – lien ci-dessous-.
Jon Uriarte – rencontre –
Nouveau commissaire des expositions de Getxo photo pour deux ans au moins, ce natif d’Hondarribia (Fontarrabie, Guipuscoa) est photographe, enseignant et directeur artistique du numérique de la Photographer’s Gallery de Londres, où il vit maintenant. Intéressé au premier chef par le numérique et les images en ligne, Jon tient à maintenir un lien dans la variété de ses activités, les unes nourrissant les autres . Depuis sa propre exposition à Getxo photo en 2012 il a gardé un œil sur la manifestation basque. Sa première réflexion de commissaire d’expos a d’ailleurs été d’observer ce que représentait Getxo photo depuis sa création, et de s’apercevoir que le festival n’a cessé d’amener la photographie dans les rues de la ville. La thématique 2020 « dans la rue » est donc à considérer d’abord comme un hommage au festival, et ensuite une réflexion sur ce qu’est l’espace public, comment il est utilisé et ce qui y est visible ou pas.
« Le monde artistique n’est pas séparé des enjeux sociaux, ils sont en relation. Tout comme nous faisons partie de la société, nous faisons partie du problème et de la solution ».
Un espace public au sens large, pas seulement physique mais aussi sur le net, pour ensuite sélectionner des travaux d’artistes qui parlent de ce qui s’y joue.
Il a été difficile de faire un choix dans les nombreux dossiers reçus après l’appel à projets de cette année, mais c’est un outil très adapté à Getxo photo qui reste un festival relativement flexible et souple, qui offre de réelles opportunités pour les photographes en devenir, et dont Jon Uriarte s’efforcera d’en tirer à nouveau le meilleur l’an prochain pour sa prochaine édition.
JJA
Texte & photographies de Jean-Jacques Ader
https://www.getxophoto.com/en/
https://thephotographersgallery.org.uk/