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Gérard Rancinan : China 83: Out of the blocks!

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En 1983 se tenaient les Jeux Nationaux à Shanghai, et Gérard Rancinan a eu la chance inouïe de venir observer de près les sportifs chinois en échauffement préolympique. Dans son objectif, il va saisir dans les stades et les camps d’entrainement les expressions de douleur et d’efforts physiques dans les épreuves, la grâce et la beauté des corps en mouvement, en l’air et dans l’eau. Il fera les portraits « des futurs champions timides, hésitants, fébriles », comme il dit, qui lui vaudront le premier de ses six prix à la World Press Photo.

Un photographe de l’Agence France Presse m’a confié un jour que le secret de la photographie de sport, c’était l’anticipation. Un bon photographe doit être familier avec les disciplines qu’il couvre dans une compétition collective, sur piste ou dans la piscine ; il doit être capable d’anticiper tant sur le moment que sur le vainqueur potentiel, de le suivre et de saisir le point culminant d’une compétition, de capter l’instant d’émotion, de joie ou de tristesse. Gérard Rancinan est non seulement un expert en anticipation, il profite de ses missions photographiques pour observer le monde et réfléchir aux changements de la société au sens large. Sa vision de la Chine de 1983 sera aussi pour lui une sorte de préparation, d’échauffement, pour l’évolution de sa création photographique future, derrière les genres : que ce soit du photoreportage sur les châteaux écossais ou les rois privés de royaumes, des portraits de célébrité, de la photographie de mode mise en scène de façon théâtrale ou cinématographique, le travail de Rancinan restera fidèle au documentaire social voire à la photographie engagée.

Lorsque la Chine, après trois décennies d’absence aux Olympiades, a décidé de participer aux Jeux de 1984 à Los Angeles, Rancinan, qui était membre de l’agence Sygma à cette époque, s’est démené pendant des mois pour obtenir un visa. Il devient donc le premier photoreporter occidental à pénétrer dans les centres d’entraînement et les écoles de formation en Chine, ces fabriques de futurs champions sportifs. En 1983, la Chine était encore un sujet de curiosité pour le monde entier, ce vaste pays sortait à peine de la Révolution culturelle (1966-1976), et son nouveau chef suprême, Deng Xiaoping, avait déjà manifesté son ambition, inimaginable en son temps, d’obtenir le retour de la Chine aux Jeux olympiques, d’abord comme participant, ensuite comme pays hôte des Jeux ! Pas à pas, Deng Xiaoping a obtenu la reconnaissance diplomatique des États-Unis, puis la restitution du siège de la Chine au Comité Olympique. En 1980, l’invasion de l’Afghanistan par l’Union soviétique a provoqué le boycott des Jeux de Moscou par les Américains et une soixantaine de pays. En représailles, l’Union soviétique a entraîné le Bloc de l’Est à boycotter les Jeux de Los Angeles de 1984, mais la Chine, malgré la pression des Russes, a maintenu sa participation. La décision de Deng Xiaoping était non seulement une initiative perspicace, mais aussi un acte stratégique, car moins de concurrents signifie plus de chances de remporter des médailles. Au final, la Chine ramènera de Los Angeles non seulement sa première médaille d’or historique, mais aussi un total de 15 médailles d’or, 8 d’argent et 9 de bronze! C’est le starting-block d’une course effrénée et imparable étalée sur trente ans, qui va mener au record des cent médailles aux Jeux de Pékin en 2008 dont 51 d’or, 21 d’argent et 28 de bronze!

Quand on regarde aujourd’hui les images de 1983 de Gérard Rancinan, on est frappé par la production stakhanoviste et l’étendue de son reportage, qui passe des camps d’entraînement champêtres aux stades urbains, des tables de ping-pong en béton ou des courts de basket campagnards aux académies d’escrime parfaitement équipées, des pistes d’athlétisme en salle aux bassins de natation, des gymnastes au cheval d’arçons aux lutteurs sur le tapis, Rancinan semblait avoir été partout. Comme un prélude à la superproduction pyrotechnique de la cérémonie d’ouverture des Jeux de Pékin de 2008, sa photo de la marche cérémoniale des drapeaux rouges à l’ouverture des Jeux Nationaux de 1983 à Shanghai a donné au monde un premier coup d’œil de la “Pompe et circonstance” d’une manifestation de masse de style socialiste. Ces mêmes drapeaux rouges ont servi précédemment dans les rassemblements politiques anti-impérialisme américain ou dans les défilés de Gardes rouges durant la Révolution culturelle. L’exploit remarquable de Gérard Rancinan est d’avoir été le témoin oculaire du premier record du monde de saut en hauteur par un athlète chinois (Zhu Jianhua, de Shanghai, bat le record du monde avec un saut à 2,38m). Ce saut en hauteur n’est-il pas le parfait symbole qui présage le décollage prochain et la montée en puissance de la Chine ? Malheureusement pour Zhu Jianhua, aux Jeux de Los Angeles il n’a pu ramener qu’une médaille de bronze. Comme me l’a raconté la photographe chinoise Hong Nanli, une vétéran des reportages sportifs qui a aussi couvert les Jeux de 1983, (c’est elle qui m’a aidé à corriger les légendes des photos de Gérard Rancinan), il y avait une telle attente de toute la nation et de toute la ville de Shanghai d’une médaille d’or pour Zhu que la déception finale s’est transformée en punition. Zhu qui est parti aux États-Unis en première classe est rentré assis au dernier rang de la classe éco où il ne pouvait même pas étirer ses grandes jambes.

Le style de Rancinan était déjà sensible dans cette empathie qui transparaît à travers ses portraits, comme ce gymnaste adolescent aux bras croisés appuyé contre un autre gymnaste aîné qui a placé ses mains sur ses épaules, le gamin fixant l’objectif droit dans les yeux, les deux corps formant une image iconique. Cet autre gymnaste suspendu aux anneaux dont le visage affiche une sérénité quasi religieuse, Li Ning, sera le triple médaillé d’or des JO de Los Angeles l’année suivante. Cette jeune gymnaste qui prépare ses marques aux barres, Ma Yanhong, de la minorité Hui, sera elle la première gymnaste chinoise médaillée d’or en 1984.

On voit le parti-pris de Rancinan à se concentrer sur ces visages grimaçants des coureurs après la ligne d’arrivée, ces dents serrées du sauteur en longueur atterrissant dans le bac à sable. Ce sont de merveilleux gros plans dramatiquement mis au point, shootés en Fujichrome ou en Ektachrome, d’une ère pré-numérique, pré-Photoshop. Gérard aime aussi nous réserver quelques joyaux sans parole, sans légende, comme cette grossière sculpture en plâtre d’un sprinteur qui n’a rien d’un Apollon grec, posée sur le bureau d’une femme qui fait semblant de lire un journal avec ses lunettes posées devant elle, et un porte-crayon fait de papier plié contenant bouteille d’encre et pinceaux, dans le reflet de la porte vitrée derrière elle on devine la silhouette du jeune photographe Rancinan pointant son appareil. Dans une autre image énigmatique, un entraîneur à la mine de Buster Keaton s’est assis sur un cheval mécanique, comme pour nous démontrer la façon correcte de monter à cheval. L’image la plus intrigante est ce groupe de quatre personnes sous les tribunes du stade avec, assis à gauche, un entraîneur conversant avec un cadre du parti, debout à droite deux coureurs de haies vêtus d’un maillot noir et d’une culotte rouge avec deux caractères BEI-JING sur ​​leur poitrine, l’un portant sa main sur le maillot de son camarade. Sur ​​le mur est accrochée une peinture naïve d’un coureur franchissant la ligne d’arrivée. Une image d’une apparence tranquille, pourtant riche en dynamique, en empathie et en non-dits.

Ici on peut glisser une citation de David Burnett: « Une fois tous les quatre ans, c’est aussi les Jeux olympiques des photographes. Vous avez les meilleurs photographes du monde entier, tous en un même endroit, photographiant la même chose. »
Gérard Rancinan partira l’année suivante photographier les Jeux olympiques de Los Angeles, et rapportera des portraits étonnants d’un Carl Lewis triomphant. En éternel anticipateur, il reviendra en Chine en 2007, l’année précédant les Jeux de Pékin pour réaliser de magnifiques portraits des vedettes de sport chinoises. On peut voir la star de plongée Guo Jingjing, qui a remporté deux médailles d’or à Athènes en 2004 et deux médailles d’or à Pékin 2008, allongée sur un tremplin recouvert de roses et tournant son regard avec tendresse vers le photographe. Et un portrait en triptyque vertical de Yao Ming, le plus célèbre ambassadeur du sport chinois et ancien champion de basket, porteur du drapeau national lors de l’ouverture des Jeux de Pékin, où il a marqué le premier panier à trois points contre l’équipe des États-Unis, futur champion olympique. Il a fallu à Gérard Rancinan trois cadrages empilés les uns sur les autres de son moyen format pour faire rentrer la hauteur entière des 2,29 m de Yao Ming, qui nous fixe de son regard tendu et puissant, symbole du nouveau statut de superpuissance qu’est désormais la Chine. Deux images qui disent tout de la Chine, séduisante mais mystérieuse et terriblement intimidante de par son immensité.

EXPOSITION
Rancinan China 83: Out of the blocks!
Jusqu’au 20 décembre 2014
Beaugeste Gallery
200025 Lane 210 Taikang Road,
Building 5, Studio 519
Shanghai, 200025
Chine

www.beaugeste-gallery.com

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