La Galerie Vrais Rêves présente l’exposition Irina Ionesco : Éternelle. Rémy Mathieu est l’auteur du texte suivant.
Irina Ionesco nous a quittés en juillet 2022. Mais les artistes ne meurent jamais tout à fait, il nous reste leurs œuvres, pour peu qu’elles soient conservées. Et même si leur identité se dilue dans le temps, il reste le principal : ce que l’on pourrait appeler « l’âme ».
D’Irina Ionesco, certains retiendrons l’épisode juridico-familial que l’on ne peut pas passer sous silence. Pour d’autres, ce sera l’érotisme affirmé ou sous-jacent dans l’ensemble de son œuvre, l’exal- tation de l’image de la femme, la recherche de sa propre identité en tant que femme et artiste. On retiendra aussi sa tentative de résilience avec son travail le plus introspectif « Baby Jane ».
Cette exposition, que présente la galerie Vrais-Rêves en cette rentrée, n’est pas une rétrospective, mais plus un hommage à cette artiste que nous avons accompagnée depuis de nombreuses années. « Les Immortelles » en 1992 avec la complicité de Christiane Regnault, « Kafka ou le passant de Prague » et « Baby Jane » la même année, « Irina Ionesco, son monde et la mode » en 2013, « 100 000 ans de beauté » en 2019.
Constituée d’images en dépôt à la galerie, de prêts de collectionneurs privés, cette exposition est susceptible d’évoluée en fonction des contacts en cours.
C’est ce que m’affirmait Irina Ionesco il y a quelques mois.
Bien sûr, toute photographie recèle en elle-même une part de son auteur, quel que soit le sujet représenté, comme toute œuvre d’ailleurs, qu’elle soit plastique, littéraire, ou musicale. C’est peut être même une condition sine qua non pour obtenir ce statut. Mais il y a dans cette affirmation beaucoup plus que cela.
En effet, le miroir ne se contente pas de refléter celui qui se présente devant lui, il reflète aussi tout ce qui se trouve autour et derrière lui, en l’occurrence tout ce qui se trouve derrière la photographe : son passé, sa jeunesse, son enfance, ses vies antérieures avec leurs cortèges d’insouciances, de joies, de peines, de drames et de souffrances. Il s’agit pour Irina d’une véritable revendication existentielle. Ainsi, en pécheresse attirant dans ses filets des fantasmes bourgeois et surannés, en femme voilée ou masquée laissant planer un parfum de mystère oriental, en guerrière harnachée tenant en laisse des chats féroces et ronronnant, en fillette perdue dans les méandres d’une histoire fantastique et fantasmagorique qui la dépasse, en odalisque lascive soumise aux regards des hommes en quête d’érotisme exotique, en reine régnant sans partage sur une cour assujettie à une volonté de velours. Il s’agit toujours d’Irina, en autoportrait décalé, par procuration. Elle fait simplement appel à ses modèles comme à des acteurs, comme à des doubles d’elle-même, comme à des prolongements d’elle-même, lui permettant d’être à la fois devant, derrière et dans ce miroir qui pourrait être celui d’Alice. Irina ne joue pas un rôle, mais reste précisément elle-même dans sa singularité et sa pluralité, avec l’apparence d’une autre.
Si ces photographies, œuvres de commande, destinées à l’illustration de magazines, nous parlent finalement de tout autre chose que de mode, de vêtements, de bijoux et d’accessoires, c’est qu’il s’agit là d’un prétexte, comme très souvent en matière de création, prétexte à parler de la Femme, de beauté, de fantasme, d’érotisme, de sensualité, et surtout d’Irina Ionesco elle-même. C’est donc presque une carte blanche qui lui est offerte. De telles initiatives sont louables à plus d’un titre : d’abord parce qu’elles permettent à des artistes de vivre, d’exister, de partager, de diffuser leur tra- vail, mais aussi pour le public qui peut ainsi découvrir, s’épanouir, grandir, évoluer. L’art n’est pas un luxe dont une société peut se passer sans risquer de régresser, de dépérir.
Rémy Mathieu, août 2013.
Irina Ionesco
Née en 1935, décédée en 2022 à Paris. De parents roumains, Irina Ionesco quitte la France à l’âge de quatre ans pour rejoindre sa grand-mère à Constanza en Roumanie. Elle revient à Paris en 1948, fuyant l’occupation soviétique. À l’âge de seize ans, elle se met à la danse et présente un numéro de contorsionniste accompagnée de serpents sur les scènes de toutes les grandes villes d’Europe. En 1958, contrainte d’abandonner cette vie de saltimbanque, elle commence à dessiner et à peindre. C’est en 1964 que son ami le peintre Corneille lui offre un appareil photo. C’est ainsi qu’Irina commence à photographier des lieux qu’elle fait habiter par des femmes qui seraient son double. Elle photographie les femmes qu’elle rencontre et sa fille Eva. En 1974, son exposition à la Nikon Gallery à Paris fait sensation, véritable point de départ d’une carrière riche en expositions et en publications. En 1984, Irina se lance dans un travail introspectif en se projetant dans le film de Robert Aldrich « Whatever Happened to Baby Jane », travail présenté pour la première fois à la galerie Vrais Rêves en 1992.
Irina Ionesco : Éternelle
Jusqu’au 4 novembre 2023
Galerie Vrais Rêves
6, rue Dumenge
69004 Lyon – France
www.vraisreves.com