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Galerie Robert Morat : Roger Eberhard : Escapism

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Qu’est-ce qui a forgé notre premier monde imaginaire ? Quel impact les paysages de cartes postales ont-ils sur notre subconscient ? Tout comme certains collectionnent les timbres pour leur capacité unique à nous faire voyager dans un autre monde, les enfants suisses collectionnaient les couvercles des petits pots de crème qui accompagnent systématiquement le café en Suisse depuis la fin des années 1960.
Avec ‘Escapism’, Roger Eberhard explore la place de ces photographies miniatures et anodines dans cette société. Une conversation.

 

NB : Avant d’aborder ces images présentées à la Galerie Robert Morat, pouvez-vous me parler de votre série « Das KRD Archiv » présentée aux côtés de « Escapism » aux Grzegorzki Shows, ici à Berlin ?

RE : Le matériau source de ma série « Escapism » sont les couvercles d’une petite tasse de crème pour le café que l’on reçoit lorsqu’on commande un café en Suisse. Pendant plusieurs décennies, ces couvercles illustrés pour crémiers à café ont été massivement collectionnés en Suisse et achetés dans les marchés aux puces, dans les magasins et lors de foires spécialisées pour des milliers de francs. Des éditions annuelles d’annuaires professionnels révèlaient la dernière valeur estimée de chaque couvercle. Puis, soudainement, vers la fin des années 2000, la valeur des pièces collectionées s’est éffondrée. Les couvercles qui coûtaient autrefois quelques centaines de dollars sont devenus sans valeur. En travaillant sur « Escapism », j’ai acquis quelques collections massives et les ai fusionnées en une seule, une collection complète de tous les couvercles officiels jamais produits entre 1968 et 2008. 2008 marque en quelque sorte la fin de la frénésie des collectionneurs. En montrant la collection KRD (abréviation allemande de couvercle de crème à café), je rends hommage à cette particularité de l’histoire suisse et montre le matériau source de mon projet. Dans le même temps, il sera également très cool pour les personnes qui ne sont pas familiarisées avec cela de regarder les dizaines de milliers de couvercles de la collection.

 

Quelle place ont ces petits pots de crème dans votre enfance des années 90 ? 

Je n’ai que de vagues souvenirs de les collectionner pour ma tante qui avait une amie qui les collectionnait un peu. J’ai toujours trouvé un peu dégoûtant de nettoyer le lait des couvercles. S’ils n’étaient pas suffisamment bien nettoyés, les couvercles devenaient très collants et commençaient à sentir assez rapidement. À cette époque, je ne savais pas que certaines personnes payaient beaucoup d’argent pour ces objets. C’était toujours fascinant de voir les différents sujets. Aujourd’hui encore, lorsque je commande un café, je fais vite attention à l’image que j’en reçois. Le peuple suisse a été entouré de milliers d’images du monde entier, elles ont dû entrer dans nos esprits d’une manière ou d’une autre et influencer notre vision du monde. C’est similaire au flot d’images que nous consommons aujourd’hui sur les réseaux sociaux.

 

Pour ‘Escapism’, vous vous êtes concentré sur l’image elle-même. Selon vous, quelle est la puissance de ces photographies, notamment celles représentant des paysages idylliques mais bien réels ?

Je suis attiré par la simplicité de ces images. Ce sont des photographies simples. Nous pouvons les déchiffrer très rapidement. C’est probablement dans la nature du matériau source, pour avoir une belle apparence sur une surface d’environ 3 cm de diamètre, les photographies ne pouvaient pas être complexes. Le spectateur devait immédiatement saisir ce qui se passait. Les images que j’ai choisies sont des photographies archétypales, des stéréotypes si vous voulez : la plage de rêve avec le palmier penché dans un coin du cadre, une dune de sable pointue sous un ciel bleu ou une vague parfaite qui se brise au bon moment. Ce sont les images que nous imaginons lorsque nous parlons de quelque chose sans y être, elles sont ancrées dans notre mémoire collective.

 

La particularité de ce travail est l’agrandissement que vous avez réalisé de ces images et leur décomposition en CMJN, pouvez-vous m’en dire plus sur ce choix artistique et technique ?

Je n’ai rien ajouté. Le motif d’impression, la séparation des couleurs CMJN, devient soudainement visible après avoir agrandi 100 fois le matériau source (couvercles crème à café). J’aime que cela permette au spectateur de se rendre compte qu’il regarde quelque chose qui a été reproduit, qu’il se trouve devant la photographie d’un imprimé, un travail d’appropriation. Cette grille de points colorés apparaît et disparaît selon la position du spectateur. Plus les points disparaissent, plus les photographies deviennent visibles et lisibles et vice versa. J’aime la façon dont l’apparition du motif CMJN perturbe la beauté des scènes représentées sur les photographies et vous invite à réfléchir sur le caractère suggestif des images.

 

Qu’est-ce qui lie cette série artistique à vos travaux précédents ?

Mes deux projets précédents nécessitaient beaucoup de voyages. Pour « Standard », j’ai visité 32 pays et pour « Territorialité humaine », ce n’était pas beaucoup moins. Cette fois-ci, j’ai réalisé tout le travail depuis mon atelier à la maison, tout en visitant les endroits les plus beaux et les plus reculés de la planète. C’était aussi pour moi une évasion du confinement chez moi pendant le Covid. ‘Escapism’, plus encore que les deux derniers projets, marque à nouveau un voyage autour du globe. Mais cette fois, je suis même arrivé dans l’espace.

 

Escapism de Roger Eberhard à la Galerie Robert Morat jusqu’au 21 octobre.

Galerie Robert Morat
Linienstraße 107,
10115 Berlin

https://www.robertmorat.de
https://rogereberhard.com

 

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