Io non ho mani che mi accarezzino il volto
Je n’ai pas de mains qui me caressent le visage
Dès 2001, la galerie Berthet-Aittouarès présente les divers aspects du travail profond et singulier du photographe italien : la chronique des villages de Scanno dans les Abruzzes, de Senigallia dans la province des Marches, les paysages vues du ciel jusqu’à l’espace intime de son travail, photographié à la fin des années 90, à l’approche de sa disparition.
Aujourd’hui, est proposée à travers 33 tirages anciens, pour la plupart vintages inédits, une nouvelle lecture de la série culte des séminaristes. Celle-ci est réalisée au début des années 60 après son incursion dans le séminaire épiscopal de Senigallia, telle qu’au risque de s’attirer sa révocation, l’avait permise Don Enzo Formiconi, le recteur.
La série des séminaristes de Senigallia allait connaître une première visibilité en 1963 à la Photokina de Cologne puis John Szarkowski lui ouvrira en 1967 la collection de photographies du MoMA de New York. Sans s’éloigner du parti pris esthétique offert par le contraste des noires soutanes avec la neige et l’éclat solaire, les images de Giacomelli transmettent une composante de la réalité de jeunes gens que ne motive pas toujours une vocation, envoyés au séminaire par des familles trop heureuses de compter un fils accessible à l’instruction et une bouche de moins à nourrir.
Inscrit par Giacomelli en exergue des Pretini, « Io non ho mani che mi accarezzino il volto », « Je n’ai pas de mains qui me caressent le visage », le premier vers d’un poème écrit par le padre Davide Maria Turoldo, donne la tonalité, humaniste, sociale et politique de ce second volet consacré par le photographe à des jeunes gens soustraits à l’affection de la famille ou à l’amour de leur âge.
60 ans plus tard, La Galerie a retrouvé Gianfranco, un des anciens séminaristes.
Rencontre avec Gianfranco
10 novembre à partir de 18h
Avec la participation amicale de Katiuscia Biondi et Simone Giacomelli, petite fille et fils de Mario Giacomelli.
Qu’est-ce qui peut mettre les êtres humains à l’abri de la douleur, des attentes déçues, de l’angoisse et de la tristesse du monde moderne ? Une Église forteresse peut-elle faire cela ? Ces hommes vêtus de noir et contraints par des règles de fer loin des quelques plaisirs du monde connaissent-ils la joie ? […] En peu de temps, l’envie de troubler l’apparente tranquillité de ce lieu de silence et de prière s’empare de Giacomelli.
Simone Giacomelli
Le monde des séminaristes était pour moi un monde nouveau. J’ai été en contact avec eux pendant trois ans : le premier pour la seule reconstitution et les autres pour élaborer les idées et les pensées. Un jour qu’il neigeait, nous avons commencé à faire des boules de neige. Alors j’ai chargé mon appareil, et pendant qu’ils jouaient, je les photographiais. Je faisais des poses plus longues et le flash construisait le blanc. J’ai photographié les petits prêtres au moment où ils enfreignaient les ‘règles’.
Mario Giacomelli
L’arrivée de Giacomelli au séminaire de Senigallia précède le Concile du Vatican II qui eu lieu entre 1962 et 1965. C’est donc dans un climat de désir de renouveau et de réflexion sur l’ouverture de l’église catholique au monde moderne et à la culture contemporaine que Giacomelli aborde son travail avec les jeunes séminaristes en 1961. Gianfranco, un d’entre eux, alors âgé de 16 ans, témoigne aujourd’hui de la révolution joyeuse que provoqua la présence de l’artiste : les « petits prêtres » jouaient, improvisant des rondes, se tirant des boules de neige, ils fumaient même quelques cigares…et c’est d’ailleurs ce qui causa l’arrêt total. On cria au scandale des petits prêtres qui fumaient le cigare ! Giacomelli fut chassé avec perte et fracas. Le même sort fut réservé au recteur du séminaire Don Enzo Formiconi, proche du renouveau de l’église.
Extrait de l’entretien d’Odile Aittouarès avec Gianfranco M.
Mario Giacomelli : Petits prêtres 1961-1963
3 novembre – 10 décembre
Galerie Berthet-Aittouares
14 et 29, rue de Seine
75006 Paris
www.galerie-ba.com