L’institut du Monde arabe accueille jusqu’au 17 janvier la première édition la Biennale de Photographie Arabe qu’elle a articulée dans un parcours sur les deux rives de la Seine. Rencontre avec Gabriel Bauret, le commissaire général de la Biennale.
L’Œil de la Photographie : Comment, pour reprendre les propos de Jack Lang, la photographie permet-elle de « sortir des stéréotypes et crispations actuelles » dès lors que l’on s’intéresse au monde arabe contemporain ?
Gabriel Bauret : Effectivement dans l’actualité quotidienne il y a ce que vous appelez des crispations mais je pense que cette question des crispations est plutôt une question politique un peu franco-française, le plus important pour moi étant de montrer que le monde arabe n’est pas un bloc monolithique mais une pluralité de cultures, de religions, de lumières, de paysages etc. C’est le point le plus important je crois. Parce que l’actualité avec une surmédiatisation produit des clichés, des stéréotypes. Cliché avec un double sens en photographie. Quand on parle du monde arabe les gens vous lancent tout de suite des choses très figées. Et donc on s’est posé la question comment la photographie participe à l’évacuation de stéréotypes. Qu’est ce que la photographie nous donne à voir, que ce soit celle des photographes dits arabes ou celle des photographes occidentaux que l’on a invités et faits se rencontrer.
ODLP : Quels axes forts se dégagent de ces regards extérieurs et intérieurs ?
GB : Tout artiste est travaillé par son passé, par son histoire, par sa culture. Faire un projet comme celui-là du point de vue français est donc différent d’un regard comme celui du festival Houston Fotofest organisé l’année dernière sur le monde arabe. On est habité par des histoires, des histoires de l’art, et la relation des artistes français avec le monde arabe, c’est ce que l’on a appelé à un moment donné l’orientalisme. On a donc ce passé qui nous précède et qui forcément a une influence sur les artistes, c’est pour cela qu’il est intéressant d’avoir cette rencontre entre l’intérieur et l’extérieur. Et quelqu’un qui est à l’intérieur et habité par les problèmes du moment, s’il s’agit des femmes qui travaillent sur la condition féminine comme Mouna Saboni (La peur, Egypte), cela n’aura pas la même résonance que si c’est une personne de l’extérieur : même si elle s’accapare de façon très intense les problématiques, il y aura toujours un clivage entre les deux. Donc c’est aussi une ligne de conduite que l’on a voulu tenir, c’est à dire ne pas sectariser mais au contraire inviter au dialogue et à la confrontation constructive.
ODLP : Comment dès lors privilégier des prises de position distanciées et nuancées sur une réalité souvent anxiogène ?
GB : Cette réalité anxiogène n’est pas seulement limitée à la photographie. C’est une atmosphère générale, accentuée ou non par les photographes. J’ai écrit dans le catalogue un texte où je parle d’intranquilité. Il y a une sorte d’inquiétude à travers toutes ces œuvres. Une menace parfois, des déceptions, des injustices. On reste dans un univers très fragile.
ODLP : Après ces printemps arabes, y aurait-il selon le concept de G. Didi Huberman une sorte d’image manquante dans ce panorama, quelque chose de l’ordre de l’indicible ?
GB : Il y a toujours entre les images, comme entre les mots, des interstices, des choses laissées hors champ. Une photographie n’est jamais complètement close et les grands artistes sont des gens qui laissent deviner ce qui peut se passer à côté. Les rendez-vous manqués de ces printemps transparaissent par leur absence, il n’y a pas d’image de victoire, de pays satisfaits de leur destin. Il y a de la poésie en revanche et de la métaphysique. Par exemple le travail de Medhi Medacci en face de nous (Paysages couleur, Syrie) : ce cube peut être interprété comme une recherche purement plastique, mais symboliquement cela dit des choses. L’artiste n’est pas obligé de l’écrire, il fait une image et c’est au spectateur de sentir qu’ il y une signification particulière.
ODLP : N’y a t-il pas un risque d’enfermement ou de stigmatisation dès lors que l’on se limite à des photographes ou artistes opérant spécifiquement dans cette région alors qu’ils se décrivent comme internationaux avant tout et restent très mobiles.
GB : Je n’ai pas l’impression que l’on aille dans cette voie. A partir du moment où l’on ouvre une porte et invite des photographes à s’exprimer on les place sur le même plan que d’autres photographes, on ne va pas les enfermer dans quoi que ce soit.
Il y en a qui refusent et n’ont pas souhaité faire partie de ce contexte et l’on a accepté leur décision. Je peux comprendre aussi que malheureusement les étiquettes sont parfois réductrices et déformatrices. De toute façon en faisant ce travail je me suis aperçu rapidement qu’ « arabe » ça ne voulait pas dire grand chose, comme une espère de délimitation abstraite. De même que je ne me targuerais pas à définir ce qu’est qu’un photographe arabe.
ODLP : Cette première édition sera t-elle suivie par d’autres et sous quelles formes ?
GB : Il y a quelques idées qui naissent mais ce n’est pas encore très précis. Nous attendons de voir comment les choses vont être acceptées, reçues, s’il y a un certain enthousiasme, des critiques qui d’ailleurs sont les bienvenues pour nous amener à corriger le tir.
EVENEMENT
Biennale du Monde des Photographes du Monde Arabe
Du 11 novembre 2015 au 17 janvier 2016
Paris, France
http://biennalephotomondearabe.com
Le laboratoire Picto est partenaire de l’événement www.picto.fr