Ma Dame est une histoire d’amour entre une femme et un photographe. C’est un roman-photo, en vue subjective. A la différence que les moments capturés ici sont ceux habituellement destinés à l’oubli. Nous ne sommes témoin que d’un quotidien sanspassion, fait de nettoyages de salle de bain, des sueurs de femme enceinte, d’énervements, d’yeux dans le vide. Le photographe semble même refuser à sa compagne toute image qui la magnifierait pour conserver des poses et des expressions qui seraientexclues de tout album de famille. Au romanesque, le photographe Romain Leblanc préfère le prosaïsme.
Il serait facile de lire dans ce roman-photo en négatif une simple satire, un ensemble de photographies qui soulignerait la bassesse de la vie de couple. Mais ce serait passer à côté du regard tendre dont chacune des images est en réalité le témoin. Capter ces moments-là, et plus encore vouloir les conserver et les partager, demande une attention à l’autre que seul l’amant est capable d’avoir. Romain Leblanc nous donne à voir un prosaïsme déjà cristallisé par le regard amoureux.
Face à l’objectif, sa compagne Adélaïde Brun est dans un abandon total. Elle se laisse photographier de mauvaise humeur, fatiguée, triste. Ce laisser-aller est à son tour la manifestation d’un amour partagé. Adélaïde accorde sa confiance, et laisse son amant accéder à une intimité que les conventions sociales cachent à toute autre personne.
Ma dame est une série photographique qui, comme toute histoire d’amour, s’est construite à deux, entre regard attentif et don confiant. Romain et Adélaïde montrent n’importe quelmoment de leurs vies, comme si chaque instant, même le plus banal ou le plus gênant, avait son importance, sans aucune hiérarchie. Laissant leur enfant hors champ, ilsremplacent les portraits familiaux dont on fait des calendriers et des publications sur les réseaux sociaux par des images où ne reste qu’un amour nu, débarrassé des projections sociales et d’un romanesque fantasmé. Ils donnent alors à voir ensemble ce secret : le prosaïsme n’est pas l’ennemi de la passion, mais le lieu même de l’amour.
Frédéric-Pierre Saget
