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Frédéric Grimaud

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Autoportraits au masque : fiction ou réalité ?

Cette situation est inédite. Je ne m’y attendais pas du tout. On nous a annoncé 15 jours de confinement. Je sentais bien que ce serait beaucoup plus long. J’ai commencé la première journée de confinement avec un terrible mal de ventre qui m’a laissé scotché, allongé presque 12 heures sans trouver de position me soulageant. Dans les jours qui suivirent, la douleur s’estompait, mais un mal de crâne, genre grosse migraine, venait le soir, me chatouiller le cerveau. C’est donc comme cela que j’ai commencé le confinement : allongé, dans le noir… Il ne faut pas lutter contre le temps mais l’accompagner, avais-je entendu un jour. Cela prend tout son sens aujourd’hui. Certaines personnes ont peur de l’ennuie, je trouve ça bien d’être aussi face à soi-même.

Je suis resté dans le silence que j’ai écouté, le silence du temps, comme celui d’un deuil. Un jour, je surfais sur les réseaux ; j’ai vu les différentes réactions et polémiques que les gens lançaient : ceux qui savent tout et tout avant tout le monde, ceux qui spéculent, qui extrapolent ou minimisent la chose… Je préfère que l’on se taise. Je me suis dit qu’il y aurait bien quelque chose à faire là-dessus. Documenter son quotidien d’accord mais tout le monde le fait. En tant que photojournaliste, je vois beaucoup de sujets là-dessus.

Un jour, je travaillais devant mon ordinateur. Je repensais aux masques qui faisaient la Une de tous ces articles de presse et ce que cela provoquait comme discussions. Les idées faisant leur chemin, celle des autoportraits s’est imposée à moi (cela faisait longtemps que je voulais entamer un travail d’autoportraits avec une vision personnelle sans vraiment savoir quoi faire d’homogène).

Comme l’un de mes thèmes récurrents dans mon travail de photographe est, entre autre, la matière (des choses, des objets, de la nature, des œuvres artistiques que l’on peut créer…), mais aussi ma recherche dans le recyclage depuis quelques années, je me suis dit que j’allais essayer de tout regrouper. Vinrent alors les questions techniques et artistiques, du fond et de la forme.

Debout ? Hors de question, infaisable pour faire tenir les objets. Allongé ? tiens, oui, j’avais trouvé, allongé, je n’avais pas le choix. Je voulais un rendu propre, d’où l’utilisation du flash de studio. Le noir et blanc pour l’intemporalité entre autre… Le tout sans montage informatique.

Je suis allé dans mon garage pour voir ce qui traînait. Et là… La caverne d’Ali baba ! Tout ce que j’ai entassé et trouvé ici et là allait enfin servir à quelque chose… J’ai commencé ma série de manière quasi industrielle, à la chaîne. Je voulais… faire faire faire. J’ai commencé à publier mes essais et j’ai pu voir les réactions des personnes sur les réseaux. Un ami m’a dit : « ça fait du bien tes photos !!! » ou encore : « c’est une très belle série créative, je suis fan, à la fois sensible, dramatique et poétique ». Certains par ailleurs, ne comprennent pas toujours : « hey tu fous la trouille quand même » ou « non vraiment, comprends pas… ».

Je n’étais pas parti pour que ce soit drôle en fait mais quand j’ai vu certaines réactions, je me suis dit que je devais aller plus loin. Des images qui peuvent sembler parfois un peu dures, loufoques, insensées ; je vous l’accorde. Il faut retrouver son âme d’enfant de temps en temps.

Je voulais donc montrer différentes émotions, des expressions théâtrales, pas vraiment surjouées mais qui cognent parfois. Pour obtenir certains visages, j’ai retenu ma respiration ou un objet lourd me faisait mal exprès, la poussière des objets venait dans mes yeux. Faire tenir les objets en équilibre ont contribué aussi aux différents visages, les yeux toujours fixés au centre de l’objectif qui me domine. Comme j’aimerais que le monde, lui, soit en équilibre.

Cette série illustre donc différents masques, représentés par des objets parfois du quotidien mais surtout par des objets trouvés. Chaque scène a sa signification : la pénurie, la vulnérabilité, les risques, les gestes barrière, l’inquiétude, la peur, la frayeur, la frustration, la colère, la dépression, se nourrir, se déplacer, se soigner, le surréalisme, la transformation de toute chose, le présent, le futur, la recherche scientifique, la question de l’environnement avec le recyclage. Que faire de nos déchets, la production industrielle, la question des soignants et du manque de lits pour les malades (d’où ma position symbolique allongée aussi), le virus lui-même, nos addictions, l’abrutissement que provoque le téléphone : on ne le voit pas toujours mais il reste présent… Attention, je ne donne pas de leçons, je m’inclus dans tout cela bien sûr.

J’ai monté en quelque sorte un autre genre de cabinet de curiosité, à ma manière. Cela interroge aussi sur qui l’on est, les masques que chacun a et cache secrètement. Cette série me fait aussi penser à des photos d’identité, à un recensement -de population-, de certaines listes que l’homme peut établir…

Ma position allongée souligne également notre impuissance et le fait qu’il faudra se relever coûte que coûte, d’une manière ou d’une autre. Je vais continuer cette série tant que je trouve des idées et des objets et jusqu’à la fin officielle du confinement.

Allez, il est 11h, une bonne douche après 2 jours d’apnée et c’est reparti pour un tour. Je fouille, je découvre, j’imagine. Nous sommes le 25 mars 2020. J’en suis à une bonne cinquantaine d’images à ce jour.

Mon message : ne tombez pas dans la morosité, restez positif, bienveillant et écoutez !

Frédéric Grimaud

www.frederic-grimaud.com

Frédéric Grimaud fait partie de Divergence www.divergence-images.com

 

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