Du 3 mars au 16 avril 2017, La Chambre – espace d’exposition et de formation à l’image à Strasbourg – accueille la première monographie de Fred Stein en France. Véritable figure de la photographie humaniste, Fred Stein a illustré le Paris des années 30 et le New York des années 40.
Lorsque Peter Stein est venu nous rencontrer en 2015, c’est avec une certaine stupéfaction que nous avons regardé les épreuves de Fred Stein, son père, qu’il avait emportées avec lui. Il s’agissait d’anciens tirages de presse recadrés pour la plupart comme cela était l’usage chez les photographes professionnels du XXe siècle. Qui était ce Fred Stein dont nous n’avions jamais entendu parler ? Qui était ce photographe américain d’origine allemande juif, socialiste et militant antifasciste, qui avait réussi à échapper au nazisme à deux reprises, une première fois, en 1933, pour se réfugier à Paris et une seconde fois, en 1941, pour rejoindre les États-Unis ?
Les images que nous avons alors découvertes racontaient le parcours d’une vie ballotée par l’Histoire avec, pour toiles de fond, les deux villes – Paris et New York – où cet apatride et sa famille se sont successivement installés. Ces photographies documentaient bien entendu une époque et des lieux mais elles révélaient bien d’autres choses encore, sur la personnalité de leur auteur, sur sa profondeur, ses pensées et ses idées. C’est par la force des choses que Fred Stein est devenu photographe de métier. Bien que parlant parfaitement le français, il savait en arrivant à Paris qu’il ne pourrait en aucun cas exercer la profession d’avocat à laquelle il s’était destiné. Sans possibilités de retour, Fred et Lilo Stein devaient nécessairement s’adapter et gagner leur vie dans ce pays où ils n’étaient que des étrangers et où il était, par conséquent, difficile de se faire une situation. Et c’est simplement parce que Fred Stein pratiquait déjà en amateur, parce qu’il aimait cela, que l’idée d’ouvrir un atelier de photographie a rapidement émergé. Créer son propre studio de portraits est alors une entreprise envisageable pour le couple Stein : le peu de matériel à leur disposition suffisait pour aménager un espace de prises de vues et un laboratoire. Avec un peu de chance et beaucoup de travail, ils pouvaient trouver une clientèle de particuliers puis, plus tard, recevoir quelques commandes de la presse illustrée. Après tout, la photographie était un langage universel – Fred Stein en a eu très tôt conscience – et si le talent était là, peu importait la nationalité d’origine de celui ou de celle qui était à l’ouvrage. On ne comptait pas les photographes hongrois, roumains, russes, allemands, etc. – la plupart réfugiés confessionnaux, politiques ou économiques – qui exerçaient dans ce Paris de l’entre-deux-guerres.
Si Fred Stein s’est lancé lui aussi, c’était en premier lieu pour survivre. Puis il s’est pris au jeu et très vite ses portraits photographiques ont commencé à montrer autre chose que des physionomies, à accuser des gestes et des attitudes, à suggérer des caractères. Cependant, c’est essentiellement dans la rue, face aux autres et face aux évènements qu’il s’est inventé, seul, une manière de raconter et de composer et qu’il est devenu photographe au sens – artistique – que nous lui donnons aujourd’hui. Même si les images isolées ou les reportages restent difficiles à vendre, c’est pourtant vers cette vie du dehors, peu à peu familière, et vers cette foule d’anonymes, que Fred Stein pointe volontiers son objectif dès qu’il quitte son studio. Dans ses clichés parisiens se côtoient les vendeurs de rues, les ouvriers, les bourgeois et les mendiants, toute cette vie quotidienne des faubourgs, des quartiers juifs et des banlieues. Puis ce sont les meetings et les dé lés des coalitions de gauche ; images qui trouveront un écho dans ses photographies américaines. Lorsqu’il s’établit aux États-Unis, c’est avec une solide expérience du métier. New York, son architecture hors norme et sa population qui condense toute une nation faite d’émigrants, de déplacés ou de réfugiés du monde entier, a véritablement fasciné le photographe. « Je peux enregistrer tellement en un temps si court » déclare-t-il au cours d’une de ses conférences.
La photographie de Fred Stein enregistre mais elle parle aussi. Ses clichés traduisent le point de vue d’un observateur qui a su donner une forme et un sens à toutes ces histoires individuelles et toutes ces choses vues en passant. Surtout, ses images reflètent la bienveillance, la curiosité empreinte de respect et de discrétion d’un homme sensible à l’humanité de ses semblables. Fred Stein avait compris que le choix auquel il avait été contraint à Paris l’avait fait entrer dans un âge moderne, celui des médias, et que son avenir était là. Il n’a pas connu cette reconnaissance tardive qu’ont vécu de nombreux auteurs de sa génération parce qu’il est malheureusement mort trop tôt, en 1967. Ce n’est que quelques années après, au début des années 1970, que les photographes ont commencé à être considérés comme des auteurs et même comme des artistes. Sans doute Fred Stein a-t-il eu toutefois conscience bien avant l’heure de la véritable portée de son travail, de son œuvre peut-être. Homme de convictions, il a eu très tôt l’intuition que la photographie pouvait aussi être un engagement. Il a compris que, sans parole et sans mots, l’image n’en était pas moins un témoignage et qu’il pouvait, à travers elle, affirmer une vision humaine et pacifique du monde.
Michaël Houlette
Michaël Houlette est directeur de la Maison Robert Doisneau à Gentilly et co-commissaire de l’exposition.
Fred Stein
Du 3 mars au 16 avril 2017
La Chambre
4 Place d’Austerlitz
67000 Strasbourg France
http://www.la-chambre.org/